Archives de catégorie : Séances du jeudi soir

La syndicaliste, jeudi 6 avril

La Syndicaliste, de Jean-Paul Salomé

Jean-Paul Salomé a étudié le cinéma à la Sorbonne avant de devenir l’assistant de Lelouch. Ses 2 1ers courts-métrages étaient des documentaires, puis il est passé au long métrage de fiction. Mais avec La Syndicaliste, la frontière entre fiction et documentaire est étroite. En effet le film de ce soir, vous le savez sans doute, est l’adaptation d’un livre-enquête écrit par une journaliste de l’Obs, et consacré à Maureen Kearney, syndicaliste d’Areva qui a dénoncé les manœuvres politico-économiques autour de la filière nucléaire française et des intérêts chinois. Il s’inscrit donc dans la lignée des films qui retracent une affaire ayant réellement eu lieu, mais avec la particularité de coller à la réalité en conservant notamment les lieux de l’action : le village des Yvelines où habitait la lanceuse d’alerte, dont les figurants sont des gens qui ont réellement assisté à la scène à l’époque, mais aussi les bords du lac d’Annecy ou plusieurs sites industriels d’Areva. De même C’est l’un des rares films français avec « les noms réels de personnages publics impliqués », pratique plus courante chez les cinéastes américains. Cette approche existait autrefois chez les cinéastes européens comme Yves Boisset ou Costa-Gavras par exemple, mais est devenu plus exceptionnel. Le metteur en scène a d’ailleurs sollicité des avocats pour éviter les problèmes juridiques à propos d’une affaire qui peut être considérée comme un scandale d’état. Toutefois, un personnage du film a été inventé, il s’agit de la jeune enquêtrice qui découvre un cas similaire.

Maureen Kearnay, lorsqu’elle a vu le film pour la 1ère fois, a dû sortir de la salle, incapable de revivre certaines scènes. Cependant elle affirme que, dans la réalité, l’instance judiciaire subie était « beaucoup plus dure » que celle décrite dans le film. La scène de la garde à vue, en particulier, était selon elle « bien pire dans la réalité ». Elle, qui n’a réussi à surmonter cette injustice que grâce au soutien de sa famille et de son syndicat, souhaite aujourd’hui que l’enquête soit relancée. Le jour de la sortie en salle du film, des députés ont signé une proposition demandant « la création d’une commission d’enquête parlementaire relative à « l’affaire Maureen Kearney » et ses implications en matière de fonctionnement de nos institutions, de nos principes démocratiques et de notre souveraineté industrielle ».

Un film qui entre donc fortement en résonnance avec l’actualité. Quant à Isabelle Huppert, vous pourrez la retrouver dans 3 semaines dans le dernier film de François Ozon.

Je verrai toujours vos visages, de Jeanne Herry

Je verrai toujours vos visages

Jeanne Herry, la réalisatrice de ce soir fête tout juste ses 45 ans puisqu’elle est née un 19 avril 1978. Fille du chanteur Julien Clerc et de l’actrice Sylvette Herry, plus connue sous le surnom de Miou-Miou, baptisée ainsi par un amour de jeunesse, un certain Coluche, pour sa petite voix, qui faisait penser au miaulement d’un chat.

Enfant de la balle, Jeanne Herry fait sa première apparition au cinéma à l’âge de 11 ans aux côtés de sa mère dans Milou en mai de Louis Malle.

Adolescente, elle hésite entre le métier d’avocate et celui d’actrice et s’engage finalement sur les pas de sa mère. Bac économique en poche à 16 ans, elle suit d’abord une école de théâtre au London and international School of acting. Puis de retour à Paris, elle échoue à l’audition d’un conservatoire de quartier et manque de tout abandonner mais elle se ressaisit et accède au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris au début des années 2000 où elle va découvrir la mise en scène.

Après ses années de formations, elle entame une carrière de comédienne dans des téléfilms mais aussi au théâtre, où elle joue et signe des mises en scène. En parallèle, elle écrit un roman autobiographique 80 années et réalise des courts puis des longs métrages au cinéma.

Je verrai toujours vos visages est son 3ème long métrage après Elle l’adore en 2014 et Pupille en 2018.

Jeanne Herry nous fait découvrir la justice restaurative méconnue du grand public.

Directement inspirée des pratiques de justice ancestrales, ce dispositif a émergé en France au milieu des années 2000 grâce aux travaux du Pr Robert Cario, Criminologue à l’université de Pau et fondateur de l’Institut Français pour la Justice Restaurative. Christiane Taubira, garde des Sceaux l’introduit ensuite en 2014 dans le code pénal. Sa mise en œuvre est effective depuis 2017 et à ce jour, il y a peu de pays en Europe où la justice réparatrice n’est pas, au minimum, expérimentée.

Deux sortes de mesures ont majoritairement été mises en place : les cercles qui sont des groupes de rencontre entre victimes et auteurs d’agression, qui mettent face à face trois ou quatre victimes et trois ou quatre condamnés, ayant commis des actes similaires à ceux vécus par les victimes, en présence de deux animateurs et de deux autres personnes bénévoles ; et les médiations, qui offrent à la victime la possibilité de rencontrer son agresseur.

La justice restaurative, en complément de la sanction pénale, vise à la fois à rétablir le lien social et à mieux prévenir la récidive chez l’auteur du délit mais contribue aussi à la réparation de la victime.

Son exercice bénéficie d’un cadrage rigoureux. Pour avoir lieu, ces rencontres nécessitent la reconnaissance des faits par le condamné, l’information des participants et leur consentement, la présence obligatoire d’un tiers indépendant et formé, un contrôle de l’autorité judiciaire et la confidentialité des échanges.

Pour vous donner un ordre de grandeur sur cette mesure de justice trop peu connue mais qui suscite de l’intérêt, on dénombre en 2022[1] :

83 mesures en cours de réalisation auprès de 131 bénéficiaires ; 1684 personnes formées pour coordonner et animer les mesures (conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, psychologues, éducateurs spécialisés, juristes, directeurs d’association de victimes, …) et près de 500 retraités bénévoles.

 

Pour construire cette fiction extrêmement documentée, Jeanne Herry s’est immergée à 200% dans le monde pénitencier. Elle a suivi les formations d’animateur et de médiateur. Elle s’est adjoint l’expertise technique de Noémie Micoulet de l’Institut Français pour la Justice Restaurative qui lui a permis de rencontrer des professionnels aguerris et de faire évoluer l’écriture du scénario.

Elle a poursuivi par des lectures en tête-à- tête avec chaque acteur en amont du tournage pour caler précisément le texte qu’ils auraient à jouer à la virgule près.

Les 3 semaines de tournage se sont déroulées en studio sous une lumière artificielle, mettant en scène des personnages liés par leurs destins, assis en rond toujours au même endroit, et s’exprimant principalement par leur voix et leur visage.

Comme vous allez le découvrir, ce film choral est porté par un casting assez exceptionnel d’acteurs pour la plupart bien connus du grand public avec, entre autres, Leïla Bekhti, Gilles Lellouche, Miou-Miou, Fred Testot, Adèle Exarchopoulos, Jean-Pierre Darroussin … mais aussi Dali Benssalah, Suliane Brahim et Birane Ba.

Bon film !

Doris ORLUT

[1] Source Institut Français pour la Justice Restaurative

Empire of lights, de Sam Mendes

Présentation d’Empire of Light

Empire of Light , le film de ce soir est écrit et réalisé par l’anglais Sam Mendes.

Comme Steven Spielberg dans The fabelmans, ou James Gray dans Armageddon time, Sam Mendes rend à son tour hommage au 7ème art. Il nous transporte au cœur du cinéma d’une petite ville balnéaire anglaise pendant les années 80.

Le Royaume-Uni est alors agité par un climat politique instable entre chômage massif, racisme ordinaire, émeutes des classes défavorisées et violence du mouvement skinhead.

Ce contexte social nourrit la créativité musicale de la pop culture de l’époque, avec l’émergence de groupes d’artistes métissés comme the Specials, the Beat, The Selecter auxquels l’adolescent Sam Mendes va s’identifier. A cette période, il a pris l’habitude de se refugier dans les salles obscures pour échapper à la réalité d’une mère très aimante mais bipolaire et régulièrement hospitalisée en psychiatrie.

Dans Empire of light, l’amour du réalisateur pour le cinéma est présent partout :

Le personnel du lieu forme comme une petite famille. On découvre Norman, le projectionniste passionné qui veille scrupuleusement sur ses bobines de pellicule.

Le lieu en lui même est un imposant bâtiment art déco posé sur le front de mer avec un hall majestueux, un escalier central et de grandes baies vitrées donnant sur la mer.

Le cinéma est le décor central de l’intrigue, le moyen de rêver, d’espérer et d’échapper à la réalité extérieure. C’est l’Empire of light, l’empire de la lumière !

Le tournage s’est déroulé sur les terres natales de Sam Mendes, principalement dans la petite ville de Margate située sur la rive nord du Kent. C’est Mark Tildesley, le chef décorateur qui a déniché ce lieu que Sam Mendes a retenu parce qu’il disposait d’un parc d’attractions, d’un ancien cinéma et d’une salle de bal avec une façade art déco, le tout attenant à la mer. Pour Roger Deakins, le directeur de la photographie l’immense avantage de filmer en extérieur était d’obtenir des images vraiment réalistes.

La partition musicale est de Trent Reznor et Atticus Ross, dont c’est la première collaboration avec Sam Mendes qui les a intégrés très en amont du processus de production afin qu’ils se concentrent exclusivement sur les sentiments à faire passer.

Le personnage d’Hilary, la gérante du cinéma est directement inspiré de la mère de Sam Mendes. Il est interprété par Olivia Colman.

Bon moment de cinéma !

Doris Orlut

 

Lola vers la mer, de Laurent Micheli

 

Le cinéma, comme les autres arts, accompagne et parfois précède les évolutions de la société. Pendant longtemps, les personnages transgenres au cinéma ont été interprétés par des acteurs ou actrices cisgenres et cantonnés à des rôles de serial killer (par exemple dans Pulsions de Brian de Palma ou encore dans Le Silence des agneaux) ou de personnages comiques.

Cependant, depuis quelques années, de plus en plus de films abordent frontalement ce sujet, de façon plus réaliste et subtile à la fois, on peut penser par exemple à Danish girl de Tom Hooper, à Girl de Lucas Dhont, ou au documentaire Petite fille de Sébastien Lifshitz. De plus, les personnages trans sont de plus en plus souvent interprétés par des personnes trans, comme dans le très beau film argentin Une femme fantastique de Sebastian Lelio ou dans le film que nous allons voir ce soir.

Laurent Micheli est un réalisateur, acteur et scénariste belge. Son 1er long métrage est sorti en 2017. Il a ensuite suivi un atelier de scénario en France, à la Femis, au cours duquel il a développé son 2ème projet, celui de Lola vers la mer, sorti en décembre 2019. Le film a reçu de nombreux prix aux Magritte, l’équivalent des Césars en Belgique, avec notamment le prix du jeune espoir féminin pour l’actrice transgenre qui incarne le rôle principal.

Voici comment le réalisateur parle du choix de ce sujet pour son film : « Je crois que souvent au cinéma, le besoin de raconter un récit naît d’une double envie : l’une intime, l’autre politique. La raison intime c’est le besoin de me replonger dans ma propre adolescence, dans cette période où le monde adulte me paraissait violent, archaïque, peu à l’écoute de la jeunesse et de ses besoins. (…) La raison politique, c’est le besoin d’écrire un personnage principal issu d’une minorité et de le porter en haut de l’affiche, lui donner cette tribune et cette visibilité. J’ai toujours été sensible aux questions lgbt, ça fait partie de mon quotidien et c’est donc naturellement que j’ai eu envie de parler de la transidentité. »

Pour finir, un détail technique mais qui a du sens. Le format choisi le réalisateur est le format 4/3, donc plutôt étroit et plutôt rare dans le cinéma actuel, un choix qu’il justifie ainsi : « Ce qu’on regarde, c’est ces deux êtres humains. Je voulais voir leur visage. Pour une fille trans c’est une manière de dire au spectateur qu’il ne peut pas regarder ailleurs. Dans cette histoire-ci ce format isole toujours les personnages dans le cadre, plutôt que de les réunir. Il y a très peu de plans où ils sont dans le même cadre. C’était pour moi la façon idéale de visualiser leur relation. Il y a aussi quelque chose de l’ordre de la nostalgie, du passé et du souvenir. J’aime beaucoup ce format, ce qui ne veut pas dire que maintenant je vais faire tous mes films dans ce format. »

 

Riposte féministe, de Marie Perennès et Simon Depardon

Un matin, Marie Perennès, metteuse en scène, découvre au pied de son domicile parisien des feuilles blanches collées pendant la nuit qui affichent des messages écrits à la peinture noire. C’est l’œuvre d’un collectif de femmes qui dénonce les violences sexistes et les féminicides.

Fidèle aux habitudes de la génération actuelle des trentenaires, Marie Perennès, poste alors le collage sur Instagram en identifiant le collectif parisien.

La voilà invitée en retour, à une session de collage. Elle va alors rejoindre le collectif pour des collages nocturnes et nouer des contacts avec plusieurs colleuses parisiennes puis par la suite avec d’autres collectifs en France.

Le sujet des violences sexistes et des féminicides anime profondément Marie Perennès et elle décide avec son conjoint, Simon Depardon de donner la parole à ces femmes pour écouter ce qu’elles ont à dire et surtout pour garder une trace de leurs actions éphémères.

Au fil des repérages, la petite équipe technique composée de 4 personnes, va progressivement tisser la complicité et la confiance nécessaires pour permettre aux différents collectifs de partager intimité et quotidien.

Ils vont choisir délibérément de filmer en plans fixes avec plusieurs caméras sur trépied afin de filmer sur des temps longs, et réserver les caméras à l’épaule aux scènes de manifestations.

Pas d’interview directe face caméra non plus, afin de faire oublier la caméra le plus possible.

Simon Depardon en charge de la dimension technique et de l’équipe dira : « On cherchait la bonne distance, ne pas trop s’approcher pour ne pas venir perturber la situation et en même temps arriver à être au plus près de la scène ». Vous observerez sans doute, comment cette juste distance permet de recueillir des propos puissants de vérité qui submergeront les protagonistes.

Au fond, l’idée de nos jeunes réalisateurs est de nous montrer la réalité pour forger notre propre regard sur cette nouvelle forme de féminisme militant qui délivre un message politique engagé. Quoiqu’il en soit, avec ou sans réalisateur pour le montrer, cette action existe et se déroule dans l’hexagone.

 

Au total, Simon Depardon et Marie Perennès ont suivi une dizaine de collectifs et ont choisi d’éliminer au montage les rushes sur le port du voile, la pornographie ou encore l’écoféminisme pour se concentrer sur la réappropriation de l’espace public et les violences faites aux femmes.

Le sens profond de ces collages nocturnes est de rappeler que la rue n’appartient pas qu’aux hommes cis blancs. Les femmes ont pleinement le droit d’être là d’autant que 100% d’entre elles, 100% de nous Mesdames, ont de façon tout à fait banalisée déjà été harcelées dans la rue.

Ces femmes militantes prennent la parole sur une thématique que personne n’a envie d’entendre et qui est pourtant bien réelle. Il suffit d’allumer son poste de radio ou de télévision pour s’en rendre compte.

Dans ces collectifs, les personnes sont majoritairement assez jeunes, entre 18 et 25 ans. Ce sont surtout des femmes, mais aussi des personnes de minorités de genre, des personnes trans ou non binaires. Tout le monde y est accepté, de l’étudiant à la cadre supérieure, dans un fonctionnement horizontal sans cheffe.

C’est sans doute la première fois que le mot féministe est dans le titre d’un film français en sélection au festival de Cannes.

En voix, off vous entendrez la voix de Marina Foïs.

Riposte féministe est réalisé en parité et l’équipe en est principalement féminine.

Dès la sortie de ce documentaire, nos jeunes réalisateurs ont souhaité partir à la rencontre du public et des associations pour débattre et échanger partout en France.

Comme vous l’avez compris les fées se sont sérieusement penchées sur le berceau de l’un d’eux (je vous laisse deviner lequel …) avec une mère féministe de la première heure et première femme française ingénieur du son et un père monstre sacré de la photographie et du documentaire !

Avant de débuter la projection, quelques précisions langagières s’imposent :

Les militantes se désignent en terme de « colleur-euse » c’est à dire colleur et colleuse accolés ;

Le mot « iel » i-e-l est employé pour désigner une personne de façon non binaire c’est à dire en dehors des notions de féminin ou de masculin;

Enfin, le mot « cisgenre » par opposition au mot « transgenre » désigne les personnes dont le genre correspond au genre déclaré à leur naissance.

 

Et maintenant la parole est à Élise à Brest, Alexia à Saint-Etienne, Cécile à Compiègne ou Jill à Marseille et à bien d’autres encore.

Doris Orlut

16 ans, de Philippe Lioret

 

Philippe Lioret s’est fait connaître dans le monde du cinéma en tant qu’ingénieur du son dans les années 80. IL a réalisé son 1er long métrage en 1993, c’était Tombés du ciel, avec Jean Rochefort. En tant que réalisateur, on le connaît surtout pour ses films sensibles dans lesquels il imbrique des sujets de société contemporains et des problématiques personnelles fortes, je pense notamment à je vais bien, ne t’en, fais pas en 2006, Welcome, avec Vincent Lindon en 2009 et Toutes nos envies l’année suivante.

 

Le mythe de Roméo et Juliette est un des exemples types de cette imbrication entre le personnel et le collectif, l’individu et la société. Le film de ce soir en est une réécriture contemporaine, en effet les 2 personnages principaux sont 2 lycéens qui appartiennent à 2 familles, non pas rivales au départ, mais amenées à s’affronter pour des raisons sociales.

Cette adaptation de la pièce de Shakespeare, Lioret l’avait en tête de puis longtemps, mais il la trouvait tellement évidente qu’il était sûr que quelqu’un se lancerait dans le projet avant lui.

Il a choisi de faire de ces 2 personnages des lycéens, car le lycée est, à ses yeux, un cadre qui gomme les différences sociales.

Sur le plan technique, afin de créer une proximité entre le spectateur et les acteurs, il a choisi, avec son chef op d’utiliser des caméras très petites afin de tourner dans des décors petits, plus intimistes, et de se faire oublier des 2 acteurs principaux, qui jouent pour la 1ère fois au cinéma et que je vous laisse découvrir dès maintenant.

LES SURVIVANTS, de Guillaume RENUSSON le 9 février 2023

 

Guillaume RENUSSON est né au Mans en 1991, dans une famille très cinéphile. A 12 ans, il filme son petit frère Alexandre sur son smartphone et obtient au Mobile Film Festival le prix du meilleur Court Métrage tourné en une minute sur téléphone mobile. Par la suite, Il étudie les Lettres et le Droit puis intéressé par la chose politique, il part à Rennes faire Sciences Po. C’est à Rennes qu’il rencontre et se lie avec un groupe de réfugiés de l’Angola qui lui font découvrir le monde terrible de la migration et l’exil, et leurs propos marqueront durablement l’esprit du jeune homme. Puis à Paris, il passe un master d’écriture audiovisuelle

Sportif, il fait beaucoup de montagne dans le Val d’Aoste, dans les Alpes franco-italiennes où sa famille à un chalet.

Revenu dans sa ville natale, il décide avec un groupe d’amis et de professionnels de créer au Mans la CITE DU FILM, espace collaboratif dédié au cinéma et à l’audiovisuel, offrant locaux et équipement aux futurs producteurs et cinéastes. Et c’est dans cette cité du Film qu’il réalise «  Les Survivants » son premier long métrage, inspiré à la fois par son goût pour la Montagne et la Politique et sa prise de conscience de l’émigration.

Dans le rôle de Samuel, le mari endeuillé, vous allez retrouver Denis Ménochet, aussi excellent dans les Survivants que dans Inglorious Bastards, Grâce à Dieu, As Bestas ou Jusqu’à la garde. Ménochet nous précise qu’il ne faut surtout pas le prendre pour un acteur, il EST chacun de ses personnages, dans une réelle complicité avec les réalisateurs que ce soient Tarantino, François Ozon ou Sorogoyen.

Quant à Zahra Amir Ebrahimi, vous l’avez peut être dejà découverte dans « les nuits de Marhhad » prix d’interprétation féminine à Cannes 2022. Elle est née en Iran en 1981. Elle fait du théâtre et du cinéma à Téhéran, jusqu’à ce qu’un fiancé éconduit publie sur les réseaux sociaux des images libertines de leur couple. Menacée de prison et de 100 coups de fouet, elle s’enfuit à Paris où, polyglotte, elle tourne avec toutes sortes de réalisateurs européens ou orientaux, jusqu’à sa rencontre avec Guillaume Renusson qui lui confie de rôle de la réfugiée afghane. Le « fiancé », lui, a été condamné à 2 mois de prison … qu’il n’a pas fait.

Les Survivants, c’est un western contemporain, engagé, inscrit dans l’actualité, tourné dans la neige et le froid, et perturbé par le Covid qui a arrêté le tournage pendant 10 mois, plus deux mois à attendre que la neige retombe au niveau qu’elle avait lors des séquences tournées avant Covid… Et je voudrais que vous ayez une pensée pour les techniciens, eux aussi frigorifiés, et qui ont réussi à faire disparaitre leurs innombrables traces de pas autour des acteurs dans une neige qui devait être inviolée…

Marion MAGNARD

 

 

 

 

 

 

 

 

The Fabelmans, S Spielberg, 19 janvier

The Fabelmans, Steven Spielberg

Avant-première dans le cadre du festival télérama

 

Si le dernier film de Spielberg était un remake, celui de West Side Story, celui que nous allons voir ce soir est beaucoup plus personnel. On peut même dire qu’il s’inscrit dans une série d’œuvres autobiographiques dans lesquelles de grands réalisateurs reviennent sur leur enfance ou leur adolescence: je pense notamment à Belfast, de K Brannagh et Armageddon time  de J Gray, mais aussi à Roma de Cuaron ou encore Licoricce pizza, de Paul Thomas Anderson, actuellement rediffusé ici dans le cadre du Festival Télérama.

L’œuvre de Spielberg est abondante et souvent tournée vers le film d’action (Les dents de la mer, les Indiana Jones, Jurassik Park) de SF (Rencontres du 3ème type, ET, AI, Minority report, La guerre des mondes, RPO) ou encore historique (La Liste de Schindler, Il faut sauver le soldat Ryan, Munich, Lincoln), donc des genres a priori éloignés de l’autobiographie. Pourtant tous ces films développent des thématiques qui sont en lien étroit avec la biographie de Spielberg, si bien que chez lui, même les plus gros blockbusters sont des œuvres personnelles.

Quelques exemples : le réalisateur reste marqué par son enfance : petit et jusqu’à l’adolescence, il était un enfant à part, mal intégré à cause de sa laideur et de sa maladresse physique, et il ne réussira à se faire accepter des autres que lorsqu’il commencera à tourner des films. Or de nombreux films de Spielberg mettent en scène des enfants ou adolescents plus ou moins inadaptés, par ex dans AI, ET, La guerre des mondes, RPO.

Autre thème récurrent : les difficultés liées au couple parental (ses parents se sont séparés lorsqu’il était adolescent) et notamment la figure du père absent, looser ou encore inflexible comme le père d’Indianan Jones interprété par S Connery.)

On peut ajouter le thème de la fascination pour la Tv et le cinéma (beaucoup de ses films comportent des séquences dans lesquelles des personnages regardent la TV), celui du déracinement, du judaïsme .

Nul doute que nous retrouverons ces thèmes dans le film de ce soir, même si son Le caractère autobiographique n’est pas totalement revendiqué puisque le personnage principal s’appelle Sammy Fabelman.

Je vous laisse découvrir ce film et le savourer d’autant plus que certains critiques pensent que ce film pourrait être l’adieu au cinéma du réalisateur. Et petite devinette pour finir: reconnaitrez-vous un autre réalisateur américain qui joue dans ce film ?

Les Miens, de Roschdy ZEM

Avez-vous une idée du nombre de films dans lesquels a joué Roschdy Zem le réalisateur du film de ce soir ? Eh bien avec plus de soixante-dix films, il est impossible de citer tous les cinéastes dont il a enrichi le casting et la liste des récompenses récoltées est longue.

Sachant qu’il a véritablement commencé sa carrière au cinéma vers 28 ans et qu’aujourd’hui il en a 57, cela peut donner le vertige.

Roschdy Zem est surtout connu pour ses rôles de flics ou de délinquants sombres et mutiques. Pour autant il interprète une large palette de rôles tant dans le cinéma social que les comédies populaires ou encore les drames psychologiques.

Depuis 2006, cet artiste hyperactif est aussi passé derrière la caméra et Les Miens est son sixième long métrage.

Jeune, il ne pense pas particulièrement à faire carrière dans le cinéma. Il vit à Drancy en banlieue parisienne avec ses parents et ses cinq frères et sœur. Il interrompt ses études en classe de première et devient vendeur au marché aux Puces de la Porte de Clignancourt. Le marché est ouvert en fin de semaine, le reste du temps il est libre. A 20 ans, il découvre le théâtre et monte sur les planches pour un petit rôle dans L’indien cherche le Bronx. Le déclic opère et, parallèlement à son métier de vendeur, il commence à passer des auditions.

En 1987, il débute au cinéma en décrochant une apparition dans le film de Josiane Balasko, Les Keufs. Quatre ans plus tard, André Téchiné le fait jouer dans J’embrasse pas et le réengage pour Ma saison préférée (1993). Sa carrière est définitivement lancée après deux interprétations remarquées : un toxicomane dans N’oublie pas que tu vas mourir de Xavier Beauvois et un veilleur de nuit dans le premier film de Laetitia Masson En avoir ou pas.

Son acteur de référence à l’époque est Patrick Dewaere dont il dit « Je me rappelle sa voix (…), comment il jouait, on avait l’impression qu’il ne jouait pas. »

L’histoire du film de ce soir est inspirée du traumatisme crânien dont a été victime son jeune frère Mustapha au décours duquel il a perdu la mémoire et toute capacité d’inhibition. D’une personne affable douce et généreuse, son frère est devenu agressif, violent et sans aucun filtre social. Vous pouvez imaginer le bouleversement familial que cela a engendré. Alors est ce un handicap ou une liberté ? Je vous laisse réfléchir.

Le scénario a été écrit alors que son frère est convalescent, au moment où l’impact de l’accident était encore très fort. Connaissant la rapidité d’écriture de Maïwenn Le Besco et surtout sa capacité à aller à l’essentiel pour éclairer la vérité, Roschdy Zem l’a sollicitée pour l’écriture. Pendant quatre semaines ils ont collaboré en construisant des fiches parcours pour les personnages qu’ils ont alors données aux acteurs comme base d’interprétation, chaque acteur connaissant la fiche de l’autre. Cela a permis aux acteurs de s’imprégner du rôle et d’improviser librement. Roschdy Zem a également majoré l’impression de vie qui émane du scénario en utilisant pour la mise en scène deux caméras en même temps ce qui fait qu’il n’y a jamais de hors champ. Les caméras sont placées souvent sur l’épaule du caméraman, qui filme en plan séquence. La création de cette illusion de vérité va permettre de faire naître l’émotion et chacun pourra s’identifier dans la vision de cet archétype familial où ça swingue, ça râle, ça pleure, ça rit, ça s’écharpe et ça se réconcilie (ou pas), comme dans (presque) toutes les familles nombreuses mises en tension et déséquilibrées par un drame imprévu.

Beaucoup de scènes sont le verbatim de scènes vécues. Et au delà du traumatisme causé par l’accident de son frère, Roschdy Zem va montrer à l’écran sa propre famille qu’il joue d’ailleurs avec sa famille de cinéma. Comme beaucoup de gens célèbres et très occupés, il a sans doute sacrifié les siens à son métier et il fait au travers de ce film son mea culpa mais aussi il offre un formidable cadeau de cinéma à ses proches. On retrouve à l’écran, Nina sa propre fille, qui joue le rôle de sa nièce et son fils Chad qui fait une apparition au repas final.

En parallèle au film son frère Mustapha a publié un premier roman en octobre Les pas Perdus où il revient sur l’épopée intime de son traumatisme et plus largement sur son parcours de vie après avoir totalement récupéré.

Bon film !

Doris Orlut