Archives mensuelles : septembre 2022

Avec amour et acharnement, Claire Denis

 

Avec amour et acharnement, de Claire DENIS – 22/9/22 –

Présentation de Marion Magnard

Claire DENIS, petite-fille du peintre Maurice DENIS, dont elle a gardé le patronyme, est née en 1946 à Paris où sa mère était venue accoucher près de sa famille. Mère et fille sont parties ensuite rejoindre le mari et père en Afrique où il est administrateur civil dans ce qui était alors les Colonies françaises. Partisan de l’indépendance des pays africains, il n’envoie pas ses 4 enfants dans les établissements européens mais dans les écoles locales. A 12 ans Claire est atteinte de poliomyélite et ses parents l’envoient se faire soigner en France chez ses grands-parents maternels à Saint Germain en Laye. Claire s’ennuie, regrette sa liberté africaine, ne se fait pas d’amies. Son professeur d’histoire au Lycée, cinéphile, lui fait découvrir les films d’Art et Essai. Après le bac, elle intègre une école où elle apprend les techniques de la photo, de la Télévision et du cinéma.

Elle repart alors en Afrique et travaille comme journaliste pour la Télévision au Niger. Rentrée en France, elle commence diverses études, puis sur les conseils d’un épisodique mari photographe elle entre à l’HIDEC (pas encore FEMIS). A sa sortie, elle commence comme assistante des réalisateurs Jacques Rivette, Robert Enrico pour  Le Vieux fusil , Jim Jarmush pour Dawn by law, , Wim Wenders pour Les Ailes du désir , puis se lance elle-même dans la carrière de cinéaste.

Le film de ce soir est un peu un condensé de son œuvre, car elle aime travailler avec « ses habitués » :

Alors que les deux amies, Claire Denis et Christine Angot se trouvaient confinées par le Covid, elles ont décidé d’adapter le roman de Christine Un tournant de la vie . Elles avaient déjà travaillé ensemble en 2017 sur le scénario d’ Un beau soleil intérieur. Claire apprécie chez son amie sa manière de manier les mots, alors qu’elle-même est surtout dans l’abstraction et le langage des corps.

Pour la musique elle a repris une fois encore le groupe Tindersticks qu’elle avait découvert en 1995 lors d’un concert au Bataclan.

Pour le Casting elle a engagé :

– Dans le rôle de Sara, Juliette Binoche qui avait joué dans Un beau soleil intérieur et dans High life. Notez que vous allez aussi apercevoir dans le film de ce soir dans ses débuts au cinéma Hanna Magimel, la fille que Juliette a eue avec Benoit Magimel.

– Dans le rôle de François, Grégoire Colin qui a déjà interprété six films de Claire dont son premier film africain autobiographique Chocolat.

– Dans le rôle de Jean, Vincent Lindon qu’elle a dirigé notamment dans Les Salauds et Vendredi soir.

Et je terminerai par une anecdote que nous raconte Juliette Binoche sur ses relations avec Vincent Lindon pendant le film : « Vincent Lindon va faire de la politique, ça, c’est sûr. Vincent, il veut qu’on sache qu’il existe, et moi je n’aime pas que l’on me marche sur les pieds. Alors ça a été un peu difficile entre nous… ».

Et je vous souhaite, avec amour mais sans acharnement, une bonne soirée.

 

Leila et ses frères, de Saeed Roustaee

 

LEILA ET SES FRÈRES, de Saeed Roustaee

On a pu découvrir le cinéaste iranien Saeed Roustaee il y a juste un an avec un film choc : La loi de Téhéran, qui montrait une capitale iranienne gangrenée par la drogue, et dont vous avez sans doute retenu quelques scènes frappantes : celle de la course poursuite qui ouvre le film, celle de ces toxicomanes vivant dans des tubes de béton, ou encore celle de la rencontre entre un condamné à mort et sa famille dans une prison.

Après ce polar social, le réalisateur revient avec une chronique familiale et sociale, à travers laquelle il dresse le portrait de la classe moyenne iranienne, une classe qui s’est appauvrie dans les dernières décennies, ce que montre bien le décor : un tout petit appartement dans lequel la promiscuité crée forcément des tensions.

Malgré le titre centré sur le personnage de Leila, il parvient à nous faire partager le point de vue de tous les membres de la famille autour d’une question simple : que faire du magot accumulé par le père de famille ? Cette question cristallise notamment la fracture entre la tradition (le père voudrait profiter de cet argent pour devenir le parrain du clan familial, la plus haute distinction qui soit dans la tradition persane) et la modernité (les enfants voudraient utiliser cet argent pour améliorer leur vie quotidienne).

Le film dure 2h50, avec une 1ère heure assez bavarde, mais cela vaut la peine de passer ce laps de temps pour rentrer dans une œuvre qu’on a pu comparer au Parrain. La 1ère scène, comme celle de la loi de Téhéran, est d’ailleurs un beau modèle de mise en scène avec son montage parallèle entre 3 personnages, 3 lieux, 3 actions.

 

Goodnight soldier, de Hiner Saleem

 

Hiner Saleem est un des rares cinéastes kurdes. Il est né en 1964 au Kurdistan irakien, dans une famille engagée dans le combat pour l’autonomie du Kurdistan. Il a raconté son enfance dans un récit autobiographique Le fusil de mon père. A l’âge de 10 ans, il découvre la TV qui ne diffuse que des émissions en arabe, c’est à ce moment qu’il décide de faire parler cette boîte en kurde.

A 17 ans, sans prévenir sa famille, il quitte seul l’Irak pour rejoindre l’Italie, où il découvre le cinéma italien, puis la France, où il s’installe. Il dit aujourd’hui qu’il se sent « à 100% kurde et à 100% français. »

Toute sa filmographie traite, d’une manière ou d’une autre et à travers des genres très différents, de la question kurde ; je vous recommande en particulier le film Vodka Lemon, un film qui peut évoquer l’univers de Kusturica, qui raconte dans une forme de réalisme poétique l’histoire d’un vieux kurde arménien attendant un mandat de son fils exilé en France.

Mais le film qui l’a fait connaître du grand public, en 2013, est My sweet pepper land, western kurde moderne et féministe dans lequel on entend Golshifteh Farahni jouer du hang.

 

Le film de ce soir est en partie une réécriture kurde de Roméo et Juliette ; il est aussi inspiré d’une histoire vraie, celle d’un peshmerga engagé contre l’Etat islamique devenu impuissant à la suite d’une blessure. Ce sujet lui permet d’aborder, comme très souvent dans ses films, le rôle et la place des femmes dans une société encore très patriarcale où la femme est considérée comme « l’honneur » de l’homme. Il nous montre ici des personnages modernes dans une société encore étouffée par les traditions.

Même si le sujet est grave, tous les films de Saleem sont aussi empreints d’humour, j’espère que ce film vous donnera envie de découvrir l’œuvre de ce cinéaste !