Archives mensuelles : octobre 2023

Les feuilles mortes, d’Ari Kaurismaki

Aki Kaurismäki naît en 1957. Fin des années 1970, il étudie le journalisme à l’université de Tampere en Finlande. À cette époque, il est membre du ciné club, participe à l’organisation du festival du film local et écrit des critiques de film pour la revue étudiante. Hésitant entre l’écriture et le 7ème art, il est recalé à l’entrée de l’école de cinéma car jugé trop cynique.

C’est ainsi qu’il rejoint son grand-frère Mika à Munich, où celui-ci poursuit des études de cinéma. Pour gagner sa vie, il exerce différents métiers : facteur, plongeur, ouvrier du bâtiment. En parallèle, il suit les séances de la cinémathèque locale dirigée par Enno Patalas, expert et historien de cinéma et c’est donc comme çà qu’il fait son apprentissage cinématographique en pur autodidacte. Mika lui propose ensuite de faire l’acteur dans son film de fin d’études, la carrière d’Aki Kaurismäki peut alors commencer.

Les deux frères, cinéphiles et amoureux de la Nouvelle Vague vont par la suite monter une société de production qu’ils appelleront Alphaville en hommage au film de Jean-Luc Godard.

Tout au long de sa création artistique, Aki Kaurismäki ne cesse de dénoncer les dérives d’une société capitaliste et bureaucratique qui oublie l’être humain et détruit son environnement. Il aime mettre en lumière la vie des gens ordinaires, leurs joies et leurs peines. Quatre thématiques se dégagent de la filmographie de Kaurismäki : l’adaptation de classiques de la littérature, Crime et châtiment son premier long métrage sorti en 1983, le road-movie musical et déjanté, Leningrad cow-boys sorti en 1989 et enfin les sagas des ouvriers et des exclus.

Certains d’entre vous se souviendront peut-être qu’il y a 6 ans, au moment de la sortie de L’autre côté de l’espoir, une comédie sur les migrants, Aki Kaurismäki avait déclaré à la télévision finlandaise que ce serait son dernier film.

Aujourd’hui il fait son retour et signe avec Les feuilles mortes le quatrième opus de sa tétralogie ouvrière après Ombres au paradis, Ariel et La fille aux allumettes.

Il n’utilise sans doute plus la caméra d’Ingmar Bergman, mais il reste toujours fidèle à l’argentique. Le film de ce soir est tourné en partie en studio et dans le quartier ouvrier de la ville d’Helsinki. Dès les premières images, on reconnaît la signature d’Aki Kaurismäki avec des plans sombres, cadrés comme des décors de théâtre et illuminés de couleurs jaunes, rouges, vertes et bleues comme dans les tableaux d’Edward Hopper.

Le décor est totalement anachronique mêlant des accessoires en formica et bakélite, un cinéma de quartier qui exhibe de vieilles affiches de film et un transistor qui distille des nouvelles de la guerre d’Ukraine.

Jusqu’au dernier plan du film, on retrouve des références cinématographiques tantôt à Bresson, Ozu, Chaplin, ses divinités domestiques tels qu’il aime à les nommer.

Au centre de ce décor évoluent les acteurs qui parlent peu et dont l’expression tient parfois dans un simple échange de regard.

Alma Pöysti dans le rôle d’Ansa et Jussi Vatanen dans le rôle d’Holappa interprètent deux âmes en peine, une caissière de supermarché solitaire et un ouvrier alcoolique. Ils se croisent dans un bar karaoké, véritable institution en Finlande et c’est le coup de foudre.

Je vous laisse découvrir Les feuilles mortes qui a reçu le prix du jury 2023 au festival de Cannes.

 

Ama gloria, de Marie Amichoukeli

Ama Gloria, de Marie Amachoukeli.

Ama Gloria a été présenté à Cannes et vient de sortir il y a 15 jours, et voilà un film qui met tout le monde d’accord : critiques et spectateurs s’accordent sur le caractère sensible et émouvant de cette histoire simple, celle d’une relation entre une enfant et sa nounou originaire du Cap vert.

Sa réalisatrice, issue de la FEMIS, a co-écrit et réalisé plusieurs courts métrages remarqués en collaboration avec Samuel Theis et Claire Burger et, en 2014, elle est passée avec eux au long métrage avec Party girl, l’histoire de la mère de Samuel Theis, entraîneuse de cabaret qui accepte de se marier avec un de ses clients réguliers.

On retrouve la même veine réaliste et autobiographique avec Ama Gloria, en effet, ce film est dédié à Laurinda Correia, concierge d’origine portugaise qui s’est occupée de la cinéaste lorsqu’elle était petite et qui est retournée vivre au Portugal quand elle avait 6 ans. Marie Amachoukeli parle ainsi de la genèse du film : « Avec ce film, j’avais envie de raconter la place de quelqu’un qui s’occupe d’un enfant pour gagner de l’argent car c’est son travail, et comment parfois cela déborde » « Dans notre société, où la place de la mère est sacralisée, je crois que c’est tabou de dire qu’il n’y a pas que les parents qui peuvent avoir un amour débordant pour leurs enfants, ou qu’à l’inverse un enfant peut ressentir cet amour-là, absolu, pour une personne qui n’est pas son parent. Tu ne le dis même pas à ta propre famille. C’est un amour secret, presque clandestin, qui n’est jamais formulé. Et justement parce qu’il est secret, j’ai eu envie de le raconter. »

Cependant, elle a situé l’origine du personnage au Cap Vert plutôt qu’au Portugal, ce qui est lié au choix de l’actrice. En effet, pour le rôle de Gloria, elle a rencontré beaucoup de nounous de plusieurs générations qui lui ont confié leurs histoires. Elle a fait la connaissance de Ilça Moreno par l’intermédiaire de sa directrice de casting qui a eu un coup de foudre pour elle suite à un premier essai. Elle confie : « Ilça ressemble énormément au personnage de Gloria. Son parcours est très proche de celui du film, à moins que ce ne soit l’inverse. A l’origine, elle est infirmière au Cap-Vert. » « En arrivant en France, elle s’est occupée d’enfants, en particulier d’un garçon handicapé dont elle était très proche. Elle m’a raconté pudiquement une partie de sa vie, son village et ses trois enfants qu’elle a dû laisser à sa mère. La rencontre avec Ilça m’a permis d’enrichir le scénario, de l’inscrire dans la réalité d’un pays. 

Toutefois le parti pris du film n’est pas de témoigner d’une réalité sociale, mais de reconstituer le point de vue de l’enfant. Pour cela, elle a voulu faire un film très sensoriel, au plus proche des personnages avec une caméra portée et beaucoup de gros plans pour saisir les gestes, les murmures. L’enfant qui interprète Louise n’a pas été trouvée dans les réseaux de castings, mais remarquée par la réalisatrice dans un parc où sa relation avec son frère témoignait de son caractère affirmé.

Le film se compose de 3 parties : la 1ère en région parisienne, la 2ème sur une île volcanique du Cap Vert et la 3ème sous forme d’animation : 12 minutes sous forme de peintures animées image par image.

Je vous laisse maintenant découvrir ce récit d’apprentissage qui est aussi celui dune double émancipation : celle d’une femme qui rentre dans son pays pour ne plus être l’employée de quelqu’un, et celle d’une enfant qui apprend à grandir.

 

Anatomie d’une chute, de Justine Triet

Anatomie d’une chute, Justine Triet

Pour faire suite à notre AG, nous avons décidé de nous offrir et de vous proposer le film qui a remporté la palme d’or à Cannes cette année, 3ème Palme d’or décernée à une femme en 30 ans, après Jane Campion en 1993, Julia Ducourneau en 2021, elle a donc été attribuée à Justine Triet cette année (si vous êtes réalisatrice et que votre prénom commence par un J, vous avez vos chances !).

Pour cette brève présentation, je vous propose une rapide réflexion sur le titre du film, un titre très lourd de sens, contrairement à celui des 2 précédents films de J Triet, Sibyl et Victoria qui évoquait seulement les 2 personnages principaux.

D’abord, le titre renvoie explicitement à un film d’Otto Preminger, traduit en français Autopsie d’un meurtre, mais en anglais « Anatomy of a murder » (1959). Il s’agit d’un des plus grands films de procès de l’histoire du cinéma. Dans « Victoria » (2016), Justine Triet avait déjà filmé une avocate. Mais ici elle met en scène une cour au travail. Dans tout récit de procès, l’action progresse à travers le dialogue, porté par les comédiens qui incarnent les différents participants d’un procès. Hors la réalisatrice a choisi de montrer très peu de flash back, pour laisser la parole envahir tout l’espace du film. Et en particulier dans la seconde moitié du film, qui se resserre sur un duel entre l’accusée et l’avocat général, homme à sang froid et au crâne rasé joué par Antoine Reinartz. Or le combat est inégal car Sandra est fragilisée par sa maîtrise insuffisante de la langue française et le film offre une belle réflexion sur la langue, le pouvoir de ceux qui savent s’en servir, la vulnérabilité des autres. Dans le rôle de Sandra, l’actrice Sandra Hüller, pour laquelle le rôle a été spécialement écrit, est bouleversante, accusée non pas pour ce qu’elle a fait mais pour ce qu’elle est.

Le terme d’  « anatomie » renvoie au vocabulaire de la médecine, mais il s’agit plutôt d’une anatomie verbale, qui met au jour et dissèque non seulement un crime mais aussi un couple. Une dissection qui étale de façon presque obscène la vie d’une femme et d’une mère, ses romans, ses habitudes, ses moeurs… Et l’on comprend que la « chute » du titre n’est pas seulement celle d’un homme, mais celle d’une relation amoureuse, et vous verrez que le motif de la chute est omniprésent dans le film, dès le 1er plan .

 

Le livre des solutions de Michel Gondry

Le Livre des Solutions, de Michel Gondry – 5 octobre 2023                                                                              Présentation de Marion Magnard

Michel Gondry, musicien, dessinateur, réalisateur, nait à Versailles en 1963. Au Lycée, il n’est heureux qu’aux cours de dessin et de musique et les caricatures vachardes qu’il fait de ses professeurs et de ses condisciples ne lui attirent pas que des amis.

Après des études de dessin, il débute dans la vie active avec des bandes dessinées, des courts métrages, des pubs et des clips-vidéos d’abord pour son groupe oui-oui dont il est le batteur, puis pour des artistes comme son égérie Bjork, les Rolling Stones, Radiohead, Iam et Daft Punk.

Et Michel Gondry a aussi une autre activité, le bricolage, je l’ai découvert en poussant à Sète la porte du très charmant MIAM, le musée international des arts modestes, la maquette d’un superbe voilier que Michel Gondry a confectionné, nous dit il, uniquement avec des rouleaux de sopalin et de papier hygiénique. Et maintenant il s’occupe de créer à Cannes un musée éphémère du cinéma.

C’est en 2001 qu’il tourne Human Nature son 1er long mètrage, où 2 marginaux loufoques         cherchent à améliorer la nature humaine, début d’une filmogaphie abondante et très originale, fourmillante d’idées et d’humour, tournée en France et aux USA.

En 2004, il tourne « Eternel sunshine of the spotless mind », son film le plus célèbre, superbe, très construit, où le réalisateur invente la science des manipulations de la mémoire.

Eternel Sunshine séduira des années plus tard l’acteur Pierre Niney. né en 1989 à Boulogne Billancourt. Lorsqu’il découvre Eternel Sunshine il est pensionnaire de la Comédie Française et Césarisé le meilleur acteur pour son interprétation d’Yves Saint Laurent dans le film de Jallil Lespert. Enthousiasmé par le réalisateur, il le rencontre et ils deviennent amis immédiatement malgré la différence d’âge. « Pas étonnant, nous dit Michel Gondry, nous sommes exactement pareils, deux têtes à claques ».

En 2013, Gondry adapte l’Ecume des jours, le livre de Boris Vian. C’est lors du montage qu’il se sent très mal, il a un million d’idées, mais est incapable de choisir entre elles. Il a l’impression de trahir l’auteur qu’il admire comme écrivain et comme musicien. IL consulte un psy qui le diagnostique bipolaire.

Bipolaire ou pas , il continue à tourner. Ce sera «  Microbe et Gasoil, un tendre road movie sur l’échappée de deux adolescents, puis il part aux USA où il tourne un documentaire sur la Philosophie, puis des séries avec les plus célèbres acteurs d’Hollywood. Et il retourne en France, « les producteurs US intervenant trop dans la réalisation ».

Il n’a pas oublié son grand malaise à la suite du montage de l’Ecume des jours, son incapacité à choisir entre 1000 réponses à 1000 questions qu’il se posait, et il décide de tourner un film autobiograpique sur cet avatar, une sorte de thérapie pleine d’humour. Et bien sûr c’est Pierre Niney qui joue son personnage, entouré de Blanche Gardin et Françoise Lebrun qui joue sa tante tous excellents

Et «  le livre des solutions » est tourné dans les Cévennes chez la tante de Michel, où il s’était réfugié avec son équipe lors de son burn out.

Je vous laisse découvrir ce film drôle et créatif.