Archives de catégorie : Séances du jeudi soir

Anora, de Sean Baker

En 1970 la Palme d’Or du Festival de Cannes était décernée à un film qui a fait rire le monde entier, MASH, de Robert ALTMAN, et c’était la première fois depuis la création du Festival le 1er septembre 1939, qu’une comédie décrochait la Palme.

Il faut reconnaître que chaque année les sélections officielles ne donnent pas souvent aux membres du Jury des occasions de se tordre de rire. Certes, « Coupez » d’HAZANAVICIUS, en 2022, nous avait surpris et beaucoup fait rire, mais c’était un film hors compétition. Et 54 ans après MASH, c’est ANORA, un tourbillon comique réalisé par Sean Baker qui a remporté les suffrages.

Sean Baker, diplômé de l’Université de New York, où il est né en 1971, a tourné en 2000 un premier film aussi authentique qu’humoristique, sur la psychologie masculine post-adolescence. Ont suivis « Prince of Broadway » , un immigré du Ghana en situation irrégulière, et « Tangerine » une histoire de Smartphones et de prostituées transgenres. Et dans ses films ultérieurs, Sean Baker s’intéresse toujours aux marginaux et au monde du travail du sexe, sans porter aucun jugement.

ANORA, c’est la rencontre d’un réalisateur et d’acteurs qui se sont mutuellement choisis. Sean Baker avait été séduit par Mickey Madison dans « Once upon a time…in Hollywood » avec la diversité de son jeu et son sens de l’humour, et elle-même, qui souhaitait travailler avec lui, s’est entraînée des mois « pour être vraisemblable en danseuse et escort-girl avec l’accent de Broadway ». L’acteur Karen Karagulien marié à une russo-américaine, qui joue Toros, est un ami de longue date du réalisateur, et a joué dans plusieurs de ses films. Quant à l’acteur russe Mark EYYDELSHTEYN, 22 ans, qui joue Ivan, il a été conquis par le réalisateur pour « son humour, son empathie pour ses personnages, sans jugement moral ni condescendance ». Et Sean Baker a aimé la fluidité de son jeu et sa parfaite adaptation au scénario.

Pour se rapprocher de l’esthétique du cinéma des années 70, à contre-courant du cinéma Holllywoodien, Sean BAKER a tourné en 35 mm avec des optiques anamorphiques qui élargissent le champ. Et vous remarquerez son emploi particulier des couleurs et des éclairages.

Le tournage d’ANORA a procuré un grand plaisir à ses protagonistes. En sera-t-il de même pour nous à la projection de ce film, palme d’or 2024 ?

Marion Magnard

La Fleur de Buriti, de Renée Nader Messora et João Salaviza

Ce soir dans le cadre du Festisol, Toiles Emoi a donc choisi de diffuser La fleur de Buriti. Ses deux réalisateurs, Renée Nader Messora et João Salaviza, ont reçu le prix d’ensemble dans la section Un certain Regard au festival de Cannes 2023. Il s’agit de leur seconde récompense à Cannes puisqu’ en 2018, ils avaient déjà eu le prix spécial du jury pour leur premier long métrage Le Chant de la Forêt.

La fleur de Buriti film tourné en pleine présidence bolsonarienne, relate l’histoire des Krahôs, ce peuple autochtone du nord de l’État de Tocantins, situé en limite de la forêt amazonienne. Le film raconte leur terre qui peu à peu disparaît, qui est constamment et littéralement étranglée par les appétits voraces et nihilistes d’un libéralisme teinté de climato scepticisme : ce sont les espèces protégées animales qui sont prélevées illégalement pour divertir quelques uns, ce sont les orpailleurs illégaux qui détruisent leurs terres, ce sont aussi l’évocation dramatique des meurtres, souvent des féminicides, perpétrés par les éleveurs afin de gagner du terrain pour le bétail au détriment d’une forêt qui pour les Krahôs constitue non seulement l’habitat, mais aussi la pharmacologie, la source nutritionnelle principale et le terreau de leurs croyances. Une terre, une forêt en somme qui concentre toute leur vie, tout leur univers avec laquelle ils vivent en symbiose. La Fleur de Buriti est le nom que portait la grand-mère d’un chef du village qui enfant a vu toute sa famille se faire massacrer par les gens des villes et les agriculteurs.

Le buriti c’est un palmier sauvage qui pousse dans la forêt amazonienne. C’est une plante médicinale que les Amérindiens appellent aussi arbre de vie tant ses usages sont variés. Ils mangent ses fruits pour leur grande richesse énergétique, utilisent ses feuilles pour faire les toitures de leurs maisons, tissent ses fibres, soignent leurs blessures cutanées et se protègent du soleil avec son huile.

Outre la symbolique de son titre, le film se veut un genre cinématographique qui s’apparente à un docu fiction humaniste, ainsi … vous n’échapperez pas à la classique voix off du genre.

L’évolution de la lutte du peuple Krahô pour leur terre et les différentes formes de résistance qu’elle prend, est illustrée par 3 moments forts de leur histoire. De la lutte armée des débuts, leur combat se mue progressivement en un combat politique avec la présence de représentants des Krahôs jusque dans les sphères institutionnelles. Ainsi on aperçoit dans le film la militante Sonia Guajajara, farouche opposante de Bolsonaro et qui depuis la récente présidence de Lula est devenue ministre des peuples autochtones.

A cette narration historique vient s’entremêler tout l’imaginaire poétique retranscrit par l’esthétique des images et un rythme très lent qui nous plonge au cœur même de ce peuple.

La genèse de ce film est originale et mérite de s’y attarder un instant. Le casting est tout d’abord composé principalement d’acteurs issus des communautés Krahô. La réalisatrice, Renée NADER MESSORA a mis le 7ème art au service de cette communauté en créant un collectif de jeunes réalisateurs autochtones qui utilisent le cinéma comme outil pour affirmer leur identité culturelle. Ainsi dans Le chant de la forêt, Ies deux réalisateurs avaient construit leur film en expliquant les rudiments de l’utilisation des caméras aux indiens pour les laisser ensuite parler de ce qu’ils voulaient, intervenant uniquement comme des référents techniques.

Pour La Fleur de Buriti, les deux réalisateurs ont poursuivi leur idée, en laissant aux Krahôs le soin non seulement de gérer les aspects techniques comme filmer mais aussi de créer le scénario global, n’intervenant que sur la cohérence et l’écriture.

Maintenant fermons les yeux et enfonçons nous au cœur de la forêt brésilienne !

Doris Orlut

 

Juré n° 2, de Clint Eastwood

Juré n°2, Clint Eastwood

On ne présente plus Clint Eastwood qui, du haut de ses 94 ans, sort avec Juré n°2 son 41ème film en tant que réalisateur. On sait qu’il a été, au cours de sa carrière également acteur, mais aussi producteur et compositeur ; par contre il n’est pas scénariste et c’est une certain Jonathan Abrams qui lui a proposé le scénario de Juré n°2, un scénario qui n’est pas sans rappeler celui d’un film français réalisé par Georges Lautner en 1962, donc un avant les Tontons flingueurs. Ce film, avec Bernard Blier dans le rôle principal, racontait l’histoire d’un juré coupable du meurtre pour le procès duquel il siégeait. Mais le scénariste prétend qu’il a eu l’idée de ce scénario en assistant à la sélection des jurés lors d’un procès, au cours de laquelle chacun des jurés cherchait à être dispensée de siéger comme juré, alors que le juge ne voulait rien entendre. Il s’est alors demandé quelle bonne raison pourrait permettre d’obtenir cette dispense, pour arriver à celle du film. Et on verra que cette scène de sélection des jurés est mise en valeur dans le film.

En tout cas, Eastwood a été conquis par le dilemme moral au cœur du film.

Le film a été tourné à Savannah, en Géorgie, comme un précédent film d’Eastwood : Minuit dans le jardin du bien et du mal. L’équipe technique était à la recherche d’un tribunal ancien, elle a trouvé sur place un bâtiment qui convenait de l’extérieur, mais pas de l’intérieur (les anciens tribunaux sont souvent transformés en salle des fêtes), donc les décors de l’intérieur du tribunal ont été reconstitués en studio.

Clint Eastwood adopte, comme toujours, une mise en scène assez classique pour un genre très courant dans le cinéma américain : le film de prétoire. On pensera par exemple à Autopsie d’un meurtre, de Preminger ou 12 hommes en colère de S Lumet . La principale originalité du scénario, c’est que le suspense ne porte pas sur l’identité du coupable, mais sur les problèmes de conscience de plus en plus étouffants du protagoniste, que reflète parfaitement le visage de l’acteur principal, Nicolas Hoult,

Après avoir réalisé plusieurs fins différentes ? Eastwood a finalement choisi une fin très ouverte qui donne lieu à de nombreuses interprétations et laisse le spectateur réfléchir et faire une partie de chemin.

Bonne séance avec ce film que l’on annonce comme probablement le dernier du réalisateur.

 

 

Quand vient l’automne, François Ozon

 

QUAND VIENT L’AUTOMNE – François OZON –   7 /11/24 –                Pres.  Marion Magnard

 

Vous allez voir ce soir le 23ème film de François 0Z0N, beaucoup plus que le 23ème si on compte tous ceux qu’il a tournés à partir de 13 ans avec la super 8 de son père et toute la famille dans le casting. Vous savez qu’il ailme varier ses thèmes, pouvant aller de « 8 femmes » à « Grâce à Dieu » en passant par « tout s’est bien passé » « et été 85 ». Cette fois encore il vous surprendra, en partant dans des directions où vous ne l’attendez pas….

La principale actrice de ce  film, c’est HELENE VINCENT devenue célèbre sous le nom de Mme Le Quesnoy, « Le lundi, c’est ravioli », son personnage de bourgeoise coincée dans « la vie est un long fleuve tranquille ». Alors que qu’elle a joué d’innombrables seconds rôles depuis 1966, avec tous les réalisateurs, c’est avec Quand vient l’automne, qu’elle obtient pour la première fois à 81 ans le rôle principal dans un film.

Elle est née à Paris en 1943, mais très vite, ses parents vont partir dans l’Yonne tenir un hôtel à Auxerre. Ils n’ont pas de temps à consacrer au développement culturel de leur descendance. Hélène est l’aînée de 4 garçpns qui eux n’ont aucune contrainte alors que leur sœur assume toutes les prtites corvées, à la maison et à l’hôtel. Comme elle s’en indigne auprès de sa mère, celle-ci lui rétorque : « Mais tu ne peux pas espérer vivre comme un garçon ? » . Cette injustice la marquera.

La famille revient à Paris et là c’est la nouvelle naissance d‘Hélène. Elle intègre le lycée Louis- le- Grand et son groupe théâtral qui forme une équipe où Hélène découvre la littérature, la musique, le cinéma et surtout le Théâtre. Et dans ce groupe elle rencontre Patrice CHEREAU et Jean-Pierre VINCENT (son futur mari et père de leur fils) à peine plus âgés qu’elle, qui feront tous les trois une remarquable carrière d’acteurs et de réalisateurs au théâtre comme au cinéma.

Elle rit de bon cœur quand elle nous raconte que c’est un directeur de casting qui l’a remarquée dans « Liberté à Brême » de Fassbinder à Avignon en 1986,où elle, jouait une femme libre qui tuet tous les hommes qui prétendent s’opposer à ses projets, et qui l’a chaudement recommandée à Etienne Chatiliez pour La vie est un long fleuve tranquille, « parce qu’elle pouvait absolument tout jouer ».

Et quand on l’interroge sur ce qui lui a plu de son rôle dans le film d’Ozon, elle répond : « sous la doudoune rose, c’est une femme libre, vigoureuse, qui ne joue pas les mamies gâteaux qui fait passer le bonheur des autres avant le sien, et qui nous dit que si on a pris la vie avec élan et appétit, il n’y a pas de raison que ça s’arrête ».

Et maintenant allons retrouver Hélène Vincent avec son amie septuagénaire Josiane Balasko.

Le procès du chien, Laetitia Dosch

Le procès du chien, Laetitia Dosch

Laetitia Dosch a 44 ans, elle a suivi une formation de comédienne de théâtre en France puis en Suisse, elle a donc d’abord joué sur les planches dans des pièces de Tchekov, Brecht ou Shakespeare. Son 1er grand rôle au cinéma lui est offert en 2013 par Justine Triet, dans la Bataille de Solférino. Elle tourne ensuite sous la direction de C Corsini, Maiwenn, C Honoré et bien d’autres. On a pu la voir très récemment dans Le roman de Jim, des frères Larrieu, où elle interprète la mère de Jim.

Le procès du chien est le 1er film qu’elle réalise, mais ce n’est pas la 1ère fois qu’elle s’intéresse dans ses spectacles aux êtres non humains : elle avait par exemple partagé la scène avec un cheval en 2020, et elle pense qu’il faut réinventer note rapport aux autres êtres vivants. Ainsi, ce qui l’a interpellée dans le sujet de ce film, c’est que la loi suisse assimile le chien à une chose, si bien que s’il est euthanasié on considère qu’il est détruit et non tué. Le film est d’ailleurs inspiré d’un fait divers réel, dans lequel un maître chien a été accusé pour des morsures portées par son chien, ce qui a enflammé toute une ville. Or selon la réalisatrice, c’est un sujet qui demande au contraire du calme et des discussions apaisées.

On voit aussi que LD s’intéresse particulièrement aux personnages marginaux comme le maître du chien, le petit voisin punk de la l’avocate ou encore Anabela, la femme mordue par le chien et qui décide de garder ses cicatrices, de refuser la norme, incarnant ainsi une forme de féminisme. Mais le film établit aussi un lien étroit entre le chien Cosmos, l’accusé dans le film, et l’avocate des causes perdues, interprétée par la réalisatrice, tous 2 cherchent leur voix et c’est en voulant le sauver qu’elle va trouver la sienne.

Quelques mots sur l’image de ce film. Si vous observez attentivement les couleurs, vous verrez que le tribunal a des couleurs à la fois plus acidulées et plus douces, pour créer une sorte de bulle, d’espace protégé. Le chef opérateur, Alexis Kavyrchine, est le même que pour le film La fille de son père ou pour le film de Klapish, En corps.

Enfin, la réalisatrice a essayé dans cette comédie de faire jouer ensemble différents types de comiques, de la satire caricaturale avec le personnage de l’avocate de la partie civile interprété par Anne Dorval, et qu’elle a imaginé comme une sorte d’Eric Zemmour ou de Donald Trump, à JPascal Zadi qui a un jeu assez neutre alors que François Damiens est davantage dans l’outrance, en passant par le personnage qu’elle interprète et qui n’a pas peur de faire des grimaces.

A noter: le chien qui interprète Cosmos a reçu la Palme Dog à Cannes !

Les Graines du figuier sauvage, de Mohamad Rasoulof

Le réalisateur de ce soir est iranien. Mohammad Rasoulof commence très jeune à écrire et mettre en scène des pièces de théâtre, avant de réaliser des documentaires et des courts-métrages pour le cinéma. En parallèle, il étudie la sociologie. On peut dire que les relations sociales et la façon dont l’individu et la société sont affectés dans un pays totalitaire sont au coeur de son travail.

Après plusieurs courts métrages, il réalise un premier long métrage, Le crépuscule en 2002. La reconnaissance lui vient en 2005 avec La vie sur l’eau, un film sur l’emprise d’une communauté à un chef qui se voit récompensé au festival des films du monde de Montréal.

En décembre 2010, Rasoulof est arrêté avec son compatriote Jafar Panahi, pour avoir co-réaliser Les blanches prairies, film qui raconte les pérégrinations d’un marin qui parcourt les îles du lac salé d’Urmia pour récolter les larmes des insulaires. Il est condamné à un an de prison et Panahi à six ans pour actes et propagande hostiles à la République islamique d’Iran. Cette peine est assortie de vingt ans d’interdiction de filmer.

Les manuscrits ne brûlent pas, en 2013 raconte les meurtres en série des écrivains et journalistes iraniens par le service des informations de la République Islamique d’Iran.

En 2017, Un homme intègre, film sur la corruption, lui vaut à nouveau des ennuis avec les autorités de son pays, qui l’accusent d’activités contre la sécurité nationale et de propagande contre le régime. Son passeport lui est alors confisqué et il est contraint de rester sur le territoire.

En 2019, il est condamné à un an de prison pour propagande contre le régime après le film Le diable n’existe pas, film contre la peine de mort, qui remporte l’Ours d’or de la Berlinale 2020.

En juillet 2022, Mohammad Rasoulof et Mostafa al-Ahmad sont arrêtés après la publication d’une tribune critiquant l’attitude des forces de l’ordre lors d’une manifestation. Jafar Panahi est arrêté à la suite d’une demande d’informations sur ces arrestations, puis il est libéré sous caution en février 2023. Les autorités iraniennes reprochent aussi à Rasoulof un film documentaire sur le poète Baktash Abtin, Intentional crime, où il accuse le régime d’avoir délibérément privé le poète, emprisonné à Téhéran, des soins que son état de santé nécessitait.

Le Festival de Cannes demande la libération immédiate des cinéastes Rasoulof, Aleahmad et Panahi et condamne la vague de répression en cours en Iran contre ces artistes. Il est libéré à titre temporaire pour raisons de santé en janvier 2023. Invité au Festival de Cannes 2023 comme membre d’un jury, mais toujours sous l’interdiction de quitter le territoire, il ne pourra faire le déplacement.

Le 8 mai 2024, Rasoulof est condamné à une peine de huit ans de prison pour collusion contre la sécurité nationale. Le 77e festival de Cannes, qui débute le 14 mai, a sélectionné son film en compétition officielle Les Graines du figuier sauvage. Son avocat, Me Paknia affirme que les autorités ont convoqué des membres de l’équipe du film pour les interroger et qu’ils ont subi des pressions pour retirer le film des compétitions internationales. Le 12 mai 2024, Mohammad Rasoulof quitte secrètement le territoire iranien afin de se rendre en France, à Cannes.

Mohammad Rasoulof explique que l’idée du film Les Graines du figuier sauvage lui est venue alors qu’il était emprisonné et que commençait le mouvement « Femme, Vie, Liberté ». Il avait en tête la réflexion d’un membre du personnel de la prison, qui en pleine répression généralisée du mouvement « Femme, Vie, Liberté », lui avait confié en aparté, qu’il voulait se pendre devant l’entrée de la prison, tant il était plein de remords et ne pouvait se libérer de la haine, qu’il éprouvait pour son travail.

Le film a été tourné en huis clos avec un minimum de comédiens et de matériel dans des conditions de réalisation et de montage inimaginables. Il est tourné en intérieur, dans des propriétés privées, uniquement à la tombée de la nuit ou au lever du jour. Il illustre l’impact du régime totalitaire iranien sur les liens familiaux. Il montre le drame intime vécu par la famille avec en contrechamp les images de la répression ultra-violente du mouvement « femme, vie, liberté » diffusées sur les réseaux sociaux.

Le titre du film est inspiré du cycle de vie du figuier sauvage, le réalisateur raconte que ses graines, contenues dans des déjections d’oiseau, chutent sur d’autres arbres. Elles germent dans les interstices des branches et les racines naissantes poussent vers le sol. De nouvelles branches surgissent et enlacent le tronc de l’arbre hôte jusqu’à l’étrangler. Le figuier sauvage se dresse enfin, libéré de son socle.

Doris Orlut

Septembre sans attendre, de Jonas Trueba

 

 

SEPTEMBRE SANS ATTENDRE, de JONAS TRUEBA – 3/10/24-

Présentation de Marion Magnard

Vous avez vu « Le charme discret de la Bourgeoisie » et « Belle de jour » du réalisateur espagnol Luis BUNUEL, « Tout sur ma mère » et « Talons Aiguilles » du réalisateur espagnol Pedro ALMODOVAR, « CRIA CUERVOS » de Carlos SAURA, réalisateur espagnol, et vous allez découvrir ce soir le plus Rohmerien des cinéastes espagnols, Jonas TRUEBA, dans « Septembre sans attendre » son 8ème   film, présenté à Cannes 2024 dans la quinzaine des réalisateurs.

Jonas TRUEBA est né à Madrid en 1981. Comédien puis réalisateur, c’est la 3ème fois qu’il réunit devant sa caméra sa compagne l’actrice Itsano ARANA et l’acteur Vito SANZ.

Il raconte : « Je voulais faire le film avec eux deux formant un couple pour la 3ème fois, après « Eva en août » où ils se rencontraient et « Venez voir » où ils étaient mariés, et utiliser les mêmes acteurs pour faire quelque chose de similaire mais différemment. Et je voulais aussi les associer à l’écriture, j’avais besoin de compagnie pour rire de mes erreurs et de mes angoisses. Et j’ai voulu pour la 1ère fois intégrer dans mon film mon héritage familial, le cinéma classique et une certaine idée de la comédie ».

Pour « l’héritage familial », il a choisi son père, Fernando TRUEBA, lui-même réalisateur et scénariste, pour jouer le père d’Itsano ARANA.

Pour « le cinéma classique », vous n’aurez pas de peine à retrouver les traces aussi bien de George Cukor et Howard Hawks que de Godard et Truffaut. Et Trueba prend plaisir à évoquer, dans les dialogues ou à l’image, les livres et les films qui l’ont marqués.

Quant à la comédie, elle est « douce-amère », car le film est aussi une méditation sur le temps qui passe, sur l’existence qui est soumise à des répétitions, à la reprise, ou non, du chemin à parcourir.

Itsano Arana campe une épouse au charme un peu arrogant, à la Kattarine Heppburn , et la bonhommie de son mari Vito Sanz rappelle un peu James Stewart.

Un spectateur rebuté par l’évocation de « La Répétition » de Kierkegaard (comme Rohmer avait cité Pascal dans ma nuit chez Maud) a déclaré que « c’était un film  pour lecteurs de Télérama », mais d’autres spectateurs et la totalité de la Critique parlent d’un petit bijou d’humour, de délicatesse et d’émotion.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vous connaissez

Histoire de Souleymane, de Boris Lojkine

Histoire de Souleymane, de Boris Lojkine

Boris Lojkine est philosophe de formation, et pas des moindres puisqu’il a été major de promo à l’ENS en 1988. Il a d’abord été enseignant à l’université d’Aix- Marseille, avant de passer à la réalisation de doc suite à un séjour au Vietnam, puis en République démocratique du Congo.

En 2013, il tourne son 1er film de fiction, Hope, histoire d’amour entre 2 migrants fuyant l’Afrique pour rejoindre l’Europe. En 2019 il réalise Camille, film centré sur la vie de Camille Lepage, une photojournaliste en reportage en Centrafrique au moment de la guerre civile.

L’histoire de Souleymane, vous est présenté ce soir en avant-première, il a été présenté à Cannes où il a reçu le prix du jury de la sélection « Un certain regard » alors que l’acteur principal recevait le prix d’interprétation masculin dans la même section.

Le réalisateur souhaitait depuis longtemps faire un film sur ces livreurs à vélo dont beaucoup sont sans papiers, et qui voient Paris sous un angle totalement différent du nôtre : une ville étrangère, aux habitants hostiles, aux policiers menaçants. Dans ce film, l’autre c’est le parisien pressé, le passant ou le fonctionnaire qui se tient face à Souleymane.

Beaucoup d’éléments du film viennent du documentaire :

  • sa préparation (il a mené de nombreux entretiens avec les livreurs, que guettent 2 menaces principales : le vol de leur vélo/ l’échec de leur entretien de demande d’asile),
  • le choix du chef op.,
  • le choix de décors qui ne nécessitent pas d’éclairages.
  • Le casting sauvage et le choix d’Abou Sangare, qui n’est pas pro, rencontré à Amiens par le biais d’une association
  • L’absence de musique
  • La manière de filmer avec du matériel léger et dans le mouvement de la vie (vélos filmés à vélo)

Mais en même temps, il a tenu à mettre en place une dramaturgie plus proche du thriller que de la chronique sociale, notamment grâce à une temporalité resserrée : le film se déroule sur 2 jours, pendant les quels Souleymane n’a pas une minute de répit.

Danièle Mauffrey

La prisonnière de Bordeaux, Patricia Mazuy

Patricia Mazuy est fan de polars et de westerns. Après un court passage en école de commerce, elle fait ses débuts au cinéma auprès d’Agnès Varda et de Sabine Mamou sa monteuse, qui la prend d’abord comme stagiaire, puis comme assistante monteuse.

Elle se tourne ensuite vers la réalisation mais le cinéma d’auteur n’étant pas un long fleuve tranquille surtout en matière de recherche de financement, elle s’essaie aux séries télé comme Tous les Garçons et les filles de leur âge et aux documentaires avec par exemple Des taureaux et des vaches.

En trente cinq ans de carrière, la prisonnière de Bordeaux est son septième film. Pour autant, Patricia Mazuy apparaît pour beaucoup de cinéphiles avertis, comme une précurseuse dans le cinéma féminin français.

Si son dernier film Bowling Saturne abordait la masculinité toxique, la prisonnière de Bordeaux la montre en creux en racontant l’histoire d’une amitié féminine forte entre deux femmes dont les maris sont en prison ; amitié, qui s’inscrit bien au delà des différences d’âge et de classe sociale.

A l’origine, il s’agissait d’un projet du cinéaste Pierre Courrèges, qui voulait faire un film social sur les femmes – les sœurs, mères ou filles de détenus. Il avait écrit plusieurs versions avec François Bégaudeau et cherché pendant plusieurs années à monter le film sans y parvenir. Ils étaient sur le point de renoncer quand le producteur Ivan Taieb a proposé à Patricia Mazuy de reprendre le projet. Après s’être assurée que Pierre Courrèges était prêt à passer la main pour que ce film se concrétise, elle en a repris l’écriture avec François Bégaudeau. Elle a longuement travaillé pour apporter de la nuance, de la complexité et de l’épaisseur à ses 2 héroïnes au delà du simple travail des dialogues.

Elle a choisi Isabelle Huppert et Hafsia Herzi pour incarner les héroïnes, l’une pour exprimer le côté burlesque et l’autre la fantaisie et l’auto-dérision. Elle a ensuite finalisé l’écriture avec Emilie Deleuze.

Le tournage s’est déroulé autour de deux lieux principaux : la prison et la maison d’Alma qui sont des lieux fermés. C’est dans le quartier résidentiel de Caudéran à Bordeaux que l’opulente demeure bourgeoise remplie de tableaux a pu être trouvée. Le centre pénitentiaire est celui de Mont de Marsan car en opposition à la maison, il est moderne, excentré de la ville. De cette prison, on ne voit que le parking et le couloir. Le reste, pour des raisons pratiques de logistique et de disponibilité, a été tourné en studio. La maison d’accueil a notamment été recréée, mais les personnes qu’on y voit sont de vraies femmes de détenus, de vrais bénévoles, qui, chargées de leurs vécus, donnent à ce lieu toute sa consistance.

Bien que les maris des 2 héroïnes soient les détenus, Patricia Mazuy a intitulé son film La Prisonnière de Bordeaux au singulier ce qui donne une tournure plus romanesque à l’intrigue.

Vous allez pouvoir observer un travail important sur la couleur. Le décor est traité je cite comme s’il s’agissait d’un tombeau de pharaons avec presque rien d’abord puis un son qui progressivement devient une musique.

Doris Orlut

Emilia Perez, de Jacques Audiard

Emilia Perez, Jacques Audiard

On ne présente plus Jacques Audiard, aujourd’hui âgé de 72 ans et qui est parvenu, depuis qu’il a commencé sa carrière en 1994 avec Regarde les hommes tomber, à se faire un prénom dans le monde du cinéma. On ne le présente plus, et en même temps il n’en finit pas de nous surprendre, tant ses films sont différents les uns des autres à bien des égards. Il ne cesse en effet de revisiter les genres cinématographiques, c’était le cas par exemple avec Les frères Sisters, dans lequel il s’était emparé du western ; avec Emilia Perez, il ne recule devant rien puisqu’il il se lance dans un mélange entre film de narcos, film queer et comédie ou plutôt drame musical.

Le projet remonte à 2019, Audiard avait alors en tête le projet d’une comédie musicale qui se déroulerait dans le milieu des trafiquants de drogue et des go fast. C’est ensuite la lecture d’un roman qui lui donne l’idée du personnage principal : un narcotrafiquant massif et cruel qui se demande « si l’on peut vraiment être un autre ». La 1ère version d’Emilia Perez est non pas un scénario, mais un livret d’opéra, en 5 actes. Il faut maintenant trouver un musicien qui écrira la musique et les paroles des chansons et il en contacte plusieurs :

  • Tom Waits décline par peur de la masse de travail que représente le projet
  • Nick Cave fait de même car son agenda est surchargé
  • Chilly Gonzales , très enthousiasmé, compose aussitôt quelques chansons en anglais mais donne une condition : il refuse de retoucher ses propositions (ce qui ne convient pas à Audiard)

Il retravaille ensuite le livret avec son compagnon de route, Thomas Bidegain, et tous 2 se demandent peu à peu s’il s’agit d’un opéra ou d’un film. Un de ses amis producteurs lui donne le nom du musicien qui a réalisé les arrangements d’Annette, de Leos Carax. Il s’appelle Clément Ducol et Audiard est tout de suite séduit par la culture et le talent du jeune homme. Il ne reste plus qu’à trouver quelqu’un qui écrive les paroles des chansons, Clément Ducol propose sa compagne, elle s’appelle Camille ! A partir de là, le projet de film est sur les rails. Les 4 compères, accompagnés d’une répétitrice mexicaine travaillent, écrivent, font des maquettes dans lesquelles Camille fait toutes les voix et devient hantée par le personnage d’Emilia Perez.

L’épreuve de vérité a lieu quelques mois plus tard, à Mexico, où ont lieu les repérages. Un lieu qui enchante le réalisateur mais qui soulève de nombreuses interrogations : questions pratiques : Peut-on faire chanter des comédiens en direct au milieu d’un tel chaos ? questions éthiques : un Français peut-il tourner sur les terres des narcotrafiquants et s’emparer d’un sujet qui traumatise la société mexicaine , dans un pays où les violences faites aux femmes sont innombrables. Audiard envoie au Mexique une sorte de podcast : une version sonore du scénario avec dialogues, musiques et chansons. Finalement le projet est validé par l’équipe mexicaine, plus gênée par des séries comme Narcos, qui rendent les narco-trafiquants glamour, que par cette approche. La bande-son est retravaillée là-bas pour mieux coller à la culture mexicaine, mais désormais se pose la question du choix des acteurs : chanteurs ? danseurs ? transgenre ? Audiard rencontre plusieurs actrices transgenre à Mexico, et finit par tomber sur Karla Sofia Gascon, qui était déjà acteur avant d’être actrice, et pour qui la question de la transidentité était secondaire par rapport à son métier.

Finalement le tournage ne se fera pas au Mexique: tout est tourné en studio à Paris, ce qui est une façon de revenir au genre de l’opéra, avec la nécessité, contrairement aux habitudes d’Audiard, de faire beaucoup de répétitions pour caler la danse, la musique et le jeu. Après tant d’années à regarder les hommes tomber, Audiard détourne donc son regard et regarde les femmes lutter, sans doute une réussite sur ce point puisque ses 4 actrices principales ont reçu un prix d’interprétation collectif. Un film qui ne manque pas d’audace, n’a pas peur de l’outrance, du baroque – flamboyant comme son affiche, et qui peut emporter ou agacer, à vous de voir ce que vous en pensez !