Archives de l’auteur : Danièle Mauffrey

Emilia Perez, de Jacques Audiard

Emilia Perez, Jacques Audiard

On ne présente plus Jacques Audiard, aujourd’hui âgé de 72 ans et qui est parvenu, depuis qu’il a commencé sa carrière en 1994 avec Regarde les hommes tomber, à se faire un prénom dans le monde du cinéma. On ne le présente plus, et en même temps il n’en finit pas de nous surprendre, tant ses films sont différents les uns des autres à bien des égards. Il ne cesse en effet de revisiter les genres cinématographiques, c’était le cas par exemple avec Les frères Sisters, dans lequel il s’était emparé du western ; avec Emilia Perez, il ne recule devant rien puisqu’il il se lance dans un mélange entre film de narcos, film queer et comédie ou plutôt drame musical.

Le projet remonte à 2019, Audiard avait alors en tête le projet d’une comédie musicale qui se déroulerait dans le milieu des trafiquants de drogue et des go fast. C’est ensuite la lecture d’un roman qui lui donne l’idée du personnage principal : un narcotrafiquant massif et cruel qui se demande « si l’on peut vraiment être un autre ». La 1ère version d’Emilia Perez est non pas un scénario, mais un livret d’opéra, en 5 actes. Il faut maintenant trouver un musicien qui écrira la musique et les paroles des chansons et il en contacte plusieurs :

  • Tom Waits décline par peur de la masse de travail que représente le projet
  • Nick Cave fait de même car son agenda est surchargé
  • Chilly Gonzales , très enthousiasmé, compose aussitôt quelques chansons en anglais mais donne une condition : il refuse de retoucher ses propositions (ce qui ne convient pas à Audiard)

Il retravaille ensuite le livret avec son compagnon de route, Thomas Bidegain, et tous 2 se demandent peu à peu s’il s’agit d’un opéra ou d’un film. Un de ses amis producteurs lui donne le nom du musicien qui a réalisé les arrangements d’Annette, de Leos Carax. Il s’appelle Clément Ducol et Audiard est tout de suite séduit par la culture et le talent du jeune homme. Il ne reste plus qu’à trouver quelqu’un qui écrive les paroles des chansons, Clément Ducol propose sa compagne, elle s’appelle Camille ! A partir de là, le projet de film est sur les rails. Les 4 compères, accompagnés d’une répétitrice mexicaine travaillent, écrivent, font des maquettes dans lesquelles Camille fait toutes les voix et devient hantée par le personnage d’Emilia Perez.

L’épreuve de vérité a lieu quelques mois plus tard, à Mexico, où ont lieu les repérages. Un lieu qui enchante le réalisateur mais qui soulève de nombreuses interrogations : questions pratiques : Peut-on faire chanter des comédiens en direct au milieu d’un tel chaos ? questions éthiques : un Français peut-il tourner sur les terres des narcotrafiquants et s’emparer d’un sujet qui traumatise la société mexicaine , dans un pays où les violences faites aux femmes sont innombrables. Audiard envoie au Mexique une sorte de podcast : une version sonore du scénario avec dialogues, musiques et chansons. Finalement le projet est validé par l’équipe mexicaine, plus gênée par des séries comme Narcos, qui rendent les narco-trafiquants glamour, que par cette approche. La bande-son est retravaillée là-bas pour mieux coller à la culture mexicaine, mais désormais se pose la question du choix des acteurs : chanteurs ? danseurs ? transgenre ? Audiard rencontre plusieurs actrices transgenre à Mexico, et finit par tomber sur Karla Sofia Gascon, qui était déjà acteur avant d’être actrice, et pour qui la question de la transidentité était secondaire par rapport à son métier.

Finalement le tournage ne se fera pas au Mexique: tout est tourné en studio à Paris, ce qui est une façon de revenir au genre de l’opéra, avec la nécessité, contrairement aux habitudes d’Audiard, de faire beaucoup de répétitions pour caler la danse, la musique et le jeu. Après tant d’années à regarder les hommes tomber, Audiard détourne donc son regard et regarde les femmes lutter, sans doute une réussite sur ce point puisque ses 4 actrices principales ont reçu un prix d’interprétation collectif. Un film qui ne manque pas d’audace, n’a pas peur de l’outrance, du baroque – flamboyant comme son affiche, et qui peut emporter ou agacer, à vous de voir ce que vous en pensez !

Les fantômes , de Jonathan Millet

 

Pour préparer la présentation de ce film, j’ai écouté plusieurs interviews de son réalisateur, Jonathan Millet, que je ne connaissais pas, et j’ai découvert un réalisateur atypique, ouvert sur le monde et dont les propos sont passionnants.

Il est originaire de Chamonix et a fait des études de philosophie puis, pour assouvir sa passion des images, au lieu de faire une école de cinéma, il s’est livré à son autre passion : celle des voyages et de l’inconnu. Il a ainsi visité une 50aine de pays dans la liste des moins visités par les touristes et a réalisé sur place des reportages pour des ONG, c’est ainsi qu’il a appris à filmer des visages, des corps, inscrits dans des espaces particuliers, et à retranscrire des atmosphères par l’image et le son. Il a ensuite été embauché par des banques d’images qui lui ont acheté ses photos rares pour illustrer des articles ou des reportages.

Par la suite il est passé au documentaire, son 1er long métrage documentaire intitulé Ceuta, douce prison, est sorti en 2012 (il avait 27 ans) et a été sélectionné dans une 60aine de festivals, le suivant portait sur des scientifiques en Antarctique. Il passe ensuite au court-métrage de fiction et Les Fantômes est son 1er long métrage de fiction.

Au cours de ses voyages, il a vécu en Syrie, à Alep, en 2005, donc bien avant la guerre, à une époque où le régime de Bachar el Hassad est déjà en place mais où le pays semble encore ouvert, où les touristes sont encore les bienvenus. A cette époque il s’est donc fait des amis sur place, qui avaient une 20aine d’années comme lui, et lorsqu’en 2011, Bachar commence à réprimer son peuple, il vit cela par procuration, à travers les images que ses amis lui envoient avant, pour beaucoup, de s’exiler en Europe, non pas par désir d’Europe, mais pour échapper à un destin tragique.

Le projet des Fantômes était à l’origine un projet documentaire : il avait filmé dans Ceuta un itinéraire de migration, il souhaitait ensuite filmer l’arrivée sur le lieu d’exil, la façon dont se manifeste le trauma enfoui dans le corps de ces exilés, dont il peut être vécu comme un deuil. Or au cours de son travail de documentation sur ce sujet, il a rencontré beaucoup de réfugiés de guerre syriens qui lui ont raconté cette histoire incroyable de cellules secrètes composées de citoyens syriens ordinaires quittant leur pays pour aller traquer en Europe les criminels de guerre exilés. Il est ainsi passé à la fiction mais en s’appuyant sur des témoignages et des faits authentiques.

Vous avez donc compris que le sujet du film est la traque par un réfugié syrien de son ex-bourreau, et je n’ai pas envie de vous en dire beaucoup plus sur le sujet du film – le réalisateur lui-même fait confiance à l’intelligence du spectateur pour qu’il comprenne des éléments sans dialogues – Mais j’aimerais attirer votre attention sur l’importance accordée au son. En effet, si le réalisateur revendique une filiation avec des films comme Conversation secrète de Coppola, ou La vie des autres, de Donnersmarck. Il m’a surtout fait penser à La jeune fille et la mort de Polanski. Autant de films dans lesquels le trauma et la traque passent par l’écoute, mais aussi par l’ensemble des sens, notamment l’odorat, puisque le personnage principal n’a jamais vu son bourreau (et réciproquement) car les prisonniers portaient toujours un sac sur la tête lors des séances de tortures dans les geôles syriennes.

Vous serez sans doute sensibles également à l’intensité des acteurs. Millet n’a pas pu engager des acteurs syriens car le fait de tourner dans ce film aurait mis en danger leurs familles restées en Syrie, ce qui montre à quel point cette guerre est encore d’actualité, et se poursuit y compris sur notre territoire. L’acteur principal, Adam Bessa, qui est franco-tunisien, a donc appris la langue syrienne et l’accent, dans un rôle où il parle peu, car même en Europe, les Syriens réfugiés continuent à se cacher, ne sachant pas si les autres Syriens qu’ils rencontrent sont des alliés ou des ennemis du régime de Bachar. Quant à l’autre acteur principal, Tawfeek Barhom (La conspiration du Caire), qui joue le présumé bourreau, il incarne de façon troublante un personnage calme, discret et poli loin de l’image du tortionnaire qu’il est peut-être, ce qui amène également à s’interroger sur la banalité du mal.

Je vous laisse donc maintenant partager l’enquête et les doutes d’un personnage qui, comme les espions, est condamné à la solitude dans un film âpre et dur mais qui laisse la violence hors champ.

Danièle Mauffrey

Only the river flows, de SHUJUN WEI

ONLY THE RIVER FLOWS, de SHUJUN WEI – 19 août 2024

                                      Présentation de Marion Magnard

 

SHUJUN Wei né à Pékin en 1991. Lycéen, il commence à 14 ans une carrière au cinéma en tant qu’acteur et obtient ensuite un master à l’Université de la Communication à Pékin.

En 2018, le Festival de Cannes, toujours à la recherche de nouveaux talents partout dans le monde, et surtout chez les jeunes cinéastes surnommés « la classe biberon », repère un court métrage de notre SHUJUN, « On the Border » (sur la frontière), qui obtiendra au Festival une « mention spéciale ».

En 2020, son long métrage « Courir au gré du vent » est retenu dans la Sélection officielle mais le Festival n’aura pas lieu pour cause de Pandémie…

En 2021 son film « Ripples of life » que l’on peut traduire par « Les ondulations de la vie » est présenté à la quinzaine des Réalisateurs, et « Only the river flows » » ( seule la rivière coule) au Festival 2023 dans la sélection « Un certain Regard ».

Quatre nominations à Cannes, alors qu’il n’a que 33 ans, ont fait dire que SHUJUN était un peu le « chouchou » de Cannes. Chouchou ou pas, le réalisateur sait ce qu’il doit au Festival et nous raconte : « Pour moi, Cannes a été une immense cinémathèque, qui m’a façonné. Le premier film que j’ai vu à Cannes, c’était Rosetta, des frères Dardenne. Après Rosetta, que je n’ai jamais oubliée, j’ai vu tous les films, je n’ai pas tout aimé, mais ils m’ont tout appris ».

C’est son producteur qui lui a envoyé la nouvelle de l’écrivain chinois YU HUA qui a inspiré son film « Only the river flows », texte qui correspondait à son désir de brouiller la frontière entre réalité et rêve, et le lien entre le mal et la folie.

Le film est un thriller, mais parallèlement à l’enquête policière, le réalisateur poursuit une démarche quasi-existentielle sur le policier chargé de l’enquête, ravagé par sa vie personnelle. Et il a placé l’intrigue dans la Chine des années 90 alors en pleine transition, ce qui lui permet puisqu’il s’agit du passé d’exprimer certaines critiques politiques. Et l’utilisation de la pellicule 16 mm gros grain lui a permis de mieux restituer la texture du cinéma de l’époque.

La musique du film est « Clair de Lune » de Ludwig von Beethoven, mais aussi une composition et interprétation de Howard Shore (à ne pas confondre avec la création du sud coréen Yiruma «River flows in you » de la saga Twilight, inspirée de la composition du français Samuel Vallée « une rivière coule en toi » en 1999), qui porte presque le même nom que le film, mais n’a rien à voir avec lui.

Le rôle principal est tenu par ZHU YILONG, acteur célèbre en Chine. Le réalisateur sourit en avouant qu’il l’a choisi d’abord parce qu’il était « bankable » et que sa présence a bien facilité le financement de son film. ZHU YILONG nous dit qu’il avait l’habitude de cinéastes qui donnaient beaucoup de recommandations sur son jeu alors que SHUJUN lui ne se souciait que de sa bonne intégration au personnage, (spécialement dans la scène avec les oies).

Vous allez voir un film qui n’est pas d’accès facile, un peu comme ceux de David Lynch . Tous deux ne respectent pas les règles du jeu, s’amusant malicieusement à des coupures dérangeantes et laissant beaucoup de liberté d’interprétations au spectateur. Et je me permets de vous donner un conseil : Faites très attention à la scène d’introduction, importante pour expliciter le propos du film et ensuite laissez-vous emporter par les très belles images de la « Rivière qui coule en vous » …

The Bikeriders,de Jeff Nichols

The bikeriders, de Jeff Nichols

La dernière fois que je vous ai présenté un film de Jeff Nichols, c’était en 2016, et il s’agissait de Midnight special. Cette année-là, il avait sorti 2 films coup sur coup : ce film de SF sur la relation entre un père et son fils, et Loving, film traitant du mariage entre une femme noire et un homme blanc dans l’Amérique de 1967. J’ai repris la présentation de 2016 : je vous parlais alors d’un jeune réalisateur (il avait 38 ans, il en a donc aujourd’hui 46) qui s’était imposé grâce à 2 très grands films : Take shelter et Mud, sur les rives du Mississippi. Je vous parlais également de sa relation avec son acteur fétiche, Mickael Shannon, au sujet de qui il disait : « Je ne veux pas faire un seul film sans lui ! (…) Michael Shannon m’inspire, il me rend meilleur, plus efficace ! » Eh bien il n’a pas trahi ses propos de l’époque, et Mickael Shannon sera bien à l’affiche du film de ce soir, même s’il n’incarne pas un des personnages principaux et suite à ce film JN déclare : « Je ne sais pas pourquoi je devrais encore être surpris lorsque Michael Shannon délivre une grande performance, mais je l’ai été, une fois de plus ! »

En revanche, si ses précédents films mettaient souvent l’action sur les relations père/fils, ce n’est pas le cas de celui-ci.

Dès 2018, Nichols révèle qu’il songe depuis 5 ans déjà à réaliser un film de motards situé dans les années 60, mais sans avoir de scénario. M Shannon lui aurait dit : « Tu parles de cette foutue idée depuis si longtemps. Tu ne feras jamais ce [film] ». Rien de tel comme défi pour qu’il se mette au scénario mais ce n’est qu’en 2022 que le projet se précise. The bikeriders est tiré d’un livre de photographies portant le même titre, publié par Danny Lyon (un des personnages du film) en 1967 et le réalisateur a réellement recréé, consciemment ou non, certaines de ces photos, qui étaient affichées dans son bureau pendant toute la préparation du film. Le titre n’est d’ailleurs pas anodin, on a plutôt l’habitude de désigner les motards sous le terme de « bikers », mais celui-ci désigne les motards de la côte ouest, alors que « bikeriders » désigne ceux du midwest (l’histoire se déroule dans l’Illinois)

Bien sûr, quand on réalise un film de motards situé dans les années 60, on ne peut échapper à 2 références écrasantes (et revendiquées par le réalisateur), à savoir L’Equipée sauvage (de Laslo Benedek, 1953, avec M Brando) et le film qui marqua le début du Nouvel Hollywood : Easy Rider de Dennis Hopper avec Peter Fonda , Jack Nichoslon et le réalisateur lui-même. Mais la particularité du film de Nichols réside dans la narration décalée, dans le regard extérieur porté sur ces motards. En effet, ils sont vus à travers le regard du photographe d’abord, mais aussi de Kathy, la compagne du chef de ce gang, 2 personnages qui permettent de prendre du recul sur le sujet, qui est celui de la fin des illusions : le passage d’un certain idéalisme de personnages marginaux revendiquant un certain nombre de valeurs (liberté, camaraderie) mises à mal au fil de l’évolution du gang et remplacées par la violence, la drogue et l’appât du gain sur fond de guerre du Vietnam.

C’est donc une fois de plus un portrait de l’Amérique que nous livre Jeff Nichols, un portrait presque documentaire de l’Amérique des marges à une époque révolue.

Danièle Mauffrey

 

 

 

Les trois fantastiques, de Mickaël Dichter

À bientôt 34 ans le réalisateur Mickaël Dichter a pour le moins un parcours atypique. Adolescent, il est passionné de cinéma et avec ses amis d’enfance, il passe tout son temps dans les salles obscures. Mais … voir des films ne lui suffit pas, ce qu’il veut c’est en fabriquer.

Il n’est pas vraiment fait pour suivre des études classiques et obtient son baccalauréat au rattrapage après avoir redoublé la seconde puis la terminale. Bac en poche, il s’inscrit en licence de cinéma à St Denis et candidate à la FEMIS grâce au soutien d’une fondation[1] qui accompagne les jeunes issus de milieu modestes.

Quelques semaines après avoir réussi son entrée à la FEMIS, il renonce pour choisir de se former sur le tas, car, la théorie, ce n’est décidément pas pour lui. Ce qui l’intéresse c’est expérimenter, faire des rencontres, apprendre.

Entre temps il obtient des rôles d’acteur notamment le rôle principal aux côtés de Camille Cottin et Juliette Binoche dans Telle mère, telle fille, de Noémie Saglio. Il découvre ainsi l’envers du décor et à quoi ressemble un plateau de tournage. Il commence à nouer quelques relations pour alimenter son carnet d’adresse.

Par la suite, il s’improvise serveur et travaille dans un restaurant parisien pour pouvoir économiser et produire ses propres courts métrages.

Au début, il filme ses sœurs puis ses copains. Il teste la lumière, le cadre, la direction d’acteur et lorsqu’il se sent prêt il se décide à écrire.

Son univers cinématographique est baigné par les teen moovies inspirés des films américains de sa génération comme Stand by me ou Les goonies mais il compose aussi avec des genres plus sombres et plus réalistes comme la chronique sociale et la tragédie.

Pour réaliser Les trois fantastiques Mickaël Dichter a beaucoup fait travailler les 3 jeunes acteurs pour arriver à une complicité visible et naturelle à l’écran. Ils ont réécrit ensemble les dialogues pour qu’ils sonnent justes avec des mots d’adolescent d’aujourd’hui.

Des 3 jeunes, seul l’acteur principal Diégo Murgia avait une petite expérience et une connaissance du milieu.   Comme il est belge, il a envoyé une vidéo lors du casting où il raconte une lettre qu’il a écrite à sa mère décédée. La vidéo se termine par la voix de sa mère qui l’appelle pour venir faire la vaisselle. Mais petit souci technique, lors de l’écoute de la vidéo la voix de la mère était inaudible. Et lorsque Diégo s’est présenté en chair et en os accompagné par sa mère, Mickaël Dichter qui avait vraiment cru au décès de la maman a été d’autant plus bluffé par le talent de Diégo.

Les trois fantastiques est en fait le prolongement d’un précédent court-métrage intitulé Pollux, qui raconte l’histoire d’une bande de copains. Le personnage du jeune Max y tenait un rôle secondaire et devient un rôle principal dans ce premier long métrage. Le choix du titre Pollux pour PORCHER et électroluX, deux usines ardennaises qui ont fermé leurs portes.

 

[1] Culture et diversité

Doris Orlut

La petite vadrouille, de Bruno Podalydes

LA PETITE VADROUILLE- réalisateur Bruno PODALYDES – 11 juillet 2024   –

Présentation Marion Magnard

 

Bruno PODALYDES est né en 1961 dans une famille à l’ancienne, celle où trois générations vivent dans la même demeure. La grand-mère maternelle veuve très jeune, avec 3 enfants, tient à Versailles une grande librairie. Plus tard, elle accueille dans sa maison sa fille professeur d’anglais et son mari pharmacien d’origine grecque, né en Algérie fils de parents pieds noirs.

Bruno a un premier frère, Denis, né en 1963. Ils partagent chambre et jeux. La grand-mère et la mère leur donnent l’accès à tous les livres et le père cinéphile leur fait découvrir tous les films. Sous cette double influence, et encouragés par les adultes qui s’intéressent à leurs créations, Bruno et Denis inventent toutes sortes de jeux, des spectacles de théâtre ou de marionnettes, des mises en scène, des émissions de radios, des diaporamas. Deux autres frères, Eric et Laurent, naissent en 1969 et 1972. La vie est joyeuse et très animée, une famille très gaie et aimant plaisanter, mais avec de discussions orageuses entre les parents, le père étant giscardien et la mère socialiste.

Bruno est le scientifique et le terrien de la famille, il commence des études de biologie, puis est engagé par le service Publicité d’Air France et se consacre ensuite totalement au cinéma. Son premier moyen métrage, « Versaille Chantiers » est très bien accueilli ainsi que les nombreux films qui ont suivis… Denis le littéraire, le bosseur, fait hypokhâgne, khâgne, puis c’est le Conservatoire et le parcours que vous connaissez à la Comédie Francaise et au Cinéma. Eric entame une carrière prometteuse de comédien, dramatiquement interrompue par son suicide. Bouleversés les deux frères ainés intègrent Laurent dans leur binôme et il devient leur assistant, étroitement lié à toutes leurs activités. Les Podalydès travaillent en famille et beaucoup des scénarios de Bruno, souvent co-écrits et joués par Bruno et Denis, sont pêchés dans le vivier de leurs souvenirs de famille. Souvenez-vous de « Liberté Oléron !

C’est aussi le cas de « la petite vadrouille », née d’une escapade familiale sur les canaux du Midi. Et Bruno nous raconte : « J’aime flotter, même si le bateau reste au quai. Quand j’étais enfant mon grand plaisir était de faire un radeau dans le jardin avec quelques planches, je prenais mon gouter et je partais au long cours. C’est dans la franche imagination que le voyage commence. Et je suis un lent. Au Lycée les copains chantaient du Gilbert Becaud, M. 100 000 volts, et moi du Georges Moustaki, M. 1 volt ! Le faible courant du canal me convient parfaitement et ce que j’aime au cinéma, c’est éprouver le temps des autres ».

Et dans cette petite vadrouille, le réalisateur nous mène en bateau avec sa famille de comédiens, Denis, lui-même, une excellente Sandrine Kiberlain, auxquels il a joint un Daniel Auteuil qui vous surprendra. Et vous retrouverez l’humanisme chaleureux et l’humour malicieux de Bruno Podalydès…

 

 

 

 

 

 

Irène, d’Alain cavalier

Séance proposée dans le cadre des Journées de l’APA

 

 

Il existe une apparente incompatibilité entre le monde du cinéma et celui du journal intime: le journal intime requiert solitude, intimité, repli sur soi ≠ le cinéma est œuvre collective, technique difficilement envisageable sans une équipe => même si beaucoup de films sont tirés d’oeuvres autobiographiques, et si de très nombreux films accordent une grande part à des éléments autobiographiques, inspirés de la vie du réalisateur, bien peu de films de cinéma peuvent être rapprochés de l’autobiographie stricto sensu et encore moins de cette forme particulière qu’est le journal intime.

Mais s’il est un cinéaste qui, au fil de son œuvre, a tenté de rapprocher son cinéma de l’intime, c’est bien Alain Cavalier. En effet, né en 1931, il a commencé sa carrière de cinéaste par des films de fiction à distribution prestigieuse (Le combat dans l’île, avec Trintignant et R Schneider en 1962 ; L’Insoumis avec Alain Delon en 1964, ou encore La Chamade avec Deneuve et Piccoli en 1968). Pourtant il décide à la fin des années 1970 de se défaire de la lourdeur industrielle de telles productions et commence à creuser une matière autobiographique, avec un matériel et donc une équipe très réduite : il filme seul avec une petite caméra. Cela se manifeste de manière très radicale avec Ce répondeur ne prend pas de message, en 1979, un étrange autoportrait du cinéaste en homme endeuillé, le visage bandé comme l’Homme invisible, à la fois dans le champ et dissimulé, peignant en noir les fenêtres de son appartement. Par la suite, l’œuvre d’Alain Cavalier se décline, jusqu’à son dernier film, L’Amitié, sorti en 2022, entre portraits et films autobiographiques.

Et si l’on pose la question, « Que savons-nous du journal ? », le film que nous allons voir apportera bien quelques éléments de réponses à cette question. En effet, Irène est un film tourné en 2008 ? qui met en scène un journal, celui du réalisateur, ou tout du moins une partie, sous la forme de 3 carnet tenus en 1970, 71 et 72, alors qu’il est âgé de 39, 40 et 41 ans. Le point de départ du film est un élément éminemment autobiographique, la mort de la mère du réalisateur, qui fait resurgir les souvenirs de la mort, une trentaine d’années plus tôt, de son épouse, actrice et mannequin d’une beauté radieuse, décédée dans un accident de voiture. Le réalisateur se replonge alors dans son journal intime de cette époque, il nous en lit des passages, mais il livre aussi les réflexions que cette lecture lui inspire et construit ainsi un film qui est à la fois un journal de deuil et un portrait en creux d’Irène.

Danièle Mauffrey

 

Juliette au printemps, de Blandine Lenoir

Blandine Lenoir débute sa carrière cinématographique un peu par hasard dans le rôle de la fille du boucher dans Carne et Seul contre tous de Gaspar Noé. Elle a alors 15 ans et se rêve déjà réalisatrice.

Elle interprète ensuite régulièrement des rôles sur grand écran ou à la télévision. Elle est la principale du collège dans La vie scolaire de Grand Corps Malade et joue dans les séries comme Maigret ou boulevard du Palais.

L’idée de devenir réalisatrice la conduit à occuper différents postes techniques sur des tournages. Ainsi, elle est costumière chez Arnaud des Paillières, décoratrice chez Philippe Lioret, en charge du casting chez Serge Lalou…

Elle commence la réalisation à 25 ans par un court métrage intitulé Avec Marinette. Son dernier film Annie colère avec Laure Calamy et Zita Hanrot nous a plongé dans le combat pour la législation de l’IVG.

Blandine Lenoir est foncièrement féministe et aime créer des comédies.

L’univers de Juliette au printemps est inspiré de la bande dessinée de Camille Jourdy Juliette : les fantômes reviennent au printemps. C’est la première fois que Blandine Lenoir adapte une œuvre littéraire à l’écran. Il faut dire qu’elle a été véritablement séduite par l’histoire qui aborde de nombreux sujets : la dépression, la famille avec la place qu’on y occupe, l’amour, l’amitié, la sexualité… Elle parle aussi des secrets de famille et plus particulièrement des non-dits et des difficultés de communication. Les personnages et la complexité des rapports humains chez Camille Jourdy sont longuement travaillés. Rien de surprenant si je vous dis qu’elle met en moyenne 3 à 4 ans pour composer une BD.

Plus encore que l’histoire de cette famille et des personnages, Blandine Lenoir a eu un vrai coup de cœur pour les dessins des scènes d’amour sensuelles et joyeuses qui montrent des corps normaux loin des stéréotypes cinématographiques et qui évoquent l’esthétisme d’Aristide Maillol ou de Botéro.

Blandine Lenoir commence à co écrire le scénario avec Maud Ameline. Elle reprend des séquences entières de la BD et fait quelques adaptations comme de donner le métier d’illustratrice à Juliette ou lui choisir un père plus tendre.

Puis elle travaille l’écriture des dialogues avec Camille Jourdy qui, dans le film, va prêter sa main à Juliette lorsqu’elle dessine, manière de montrer à l’image l’univers graphique de l’autrice.

Au montage Blandine Lenoir a voulu préserver un équilibre entre humour et émotion.

Et les acteurs me direz-vous ? Eh bien je ne vous dirai rien sur la brochette d’acteurs remarquables qui sert ce film ni sur la participation animalière. Je vous laisse la primeur de les découvrir. Si juste un chiffre : 91 pour le nombre de printemps de l’actrice la plus expérimentée !

Doris Orlut

Une affaire de principe, d’Antoine Raimbault

UNE AFFAIRE DE PRINCIPE

Antoine Raimbault, le réalisateur d’Une affaire de principe, a longtemps travaillé comme monteur avant de se tourner vers l’écriture de scénario.

Son second long métrage nous plonge au cœur de l’affaire Dalli, ce commissaire européen en charge de la santé et de la protection des consommateurs, qui fut brutalement débarqué de son poste par le président de la Commission européenne, pour soupçon de corruption avec un industriel du tabac.

A l’annonce de sa démission, l’eurodéputé vert José Bové, l’un de ses opposants politiques, a la forte intuition que quelque chose d’anormal se trame.

Pour resituer si besoin est, José Bové, est l’une des figures du mouvement altermondialiste. Il est l’un des fondateurs de la Confédération paysanne, un syndicat paysan qui s’oppose à l’agriculture productiviste et à l’industrie agroalimentaire. Il a siégé au parlement européen de 2009 à 2019 pour Europe Écologie.

A l’époque des faits, si le commissaire John Dalli est en croisade contre le tabac, cela n’est pas le sujet de prédilection de José Bové, qui si vous le connaissez, se présente toujours la pipe à la bouche.

Pour autant, c’est parce qu’il a à cœur le respect des règles de droit que José Bové va organiser la défense de John Dalli en faisant alliance avec des groupes politiques d’autres bords pour tenter de faire bouger les lignes et rétablir la vérité.

Le livre Hold-up à Bruxelles, les lobbies au cœur de l’Europe sorti en 2015 que José Bové a co écrit avec le journaliste Gilles Luneau raconte cet épisode.

Antoine Raimbault a donc construit son film autour de faits réels. Il a souhaité nous montrer le fonctionnement du parlement européen, qu‘il a lui-même découvert au décours de ces recherches cinématographiques. Il l’a transformé dans son genre de prédilection, sous la forme d’un thriller de bureau où il nous tient en haleine à coup de conférences de presse, de confessions recueillies sur un smartphone ou d’un mail capital déversé par une imprimante.

Bouli Lanners incarne José Bové. Ses assistants parlementaires sont Thomas VDB en personnage un peu neurasthénique et Céleste Brunnquell la jeune actrice d’En thérapie et de La fille de son père.

Les personnages de génération différente interrogent chacun à leur façon l’idée d’engagement et de croyance dans le politique. Ils illustrent la recherche d’équilibre entre pouvoir et contre pouvoir pour éviter l’abus de pouvoir.

Antoine Raimbault a voulu placer un peu d’ironie au milieu de ce très sérieux sujet et a utilisé, vous le verrez, la musique de Grégoire Auger pour donner une tonalité plus légère.

Doris Orlut

C’e ancora domani, de Paola Cortellesi

La soirée italienne, c’est chaque année une soirée au cours de laquelle on se plonge dans la langue, la culture et la société italienne. Or le film de ce soir est particulièrement bien adapté à cette immersion, car rarement un film aura autant fait se rencontrer l’art cinématographique et un fait de société, au point de devenir en Italie un phénomène de société: projection au Sénat, projections dans les établissements scolaires… Si le film a eu moins d’impact en France, c’est sans doute parce qu’il plonge profondément dans la culture italienne, et de manière très habile.

Un 1er film inattendu et un succès inattendu:

C’est le 1er film de Paola Cortellesi, et on ne l’attendait pas du tout sur ce genre de film. En effet, elle est connue des Italiens a une expérience en tant qu’actrice (mini série Petra), animatrice TV, chanteuse : rattachée au monde du divertissement de la TV italienne et non au cinéma d’auteur. 1ère surprise= ce type de film de sa part

2ème surprise= film sur les violence faites aux femmes par une femme (dans un cinéma italien où il y a peu de femmes : peu de femmes réalisatrices, ou techniciennes alors même que le cinéma italien porte un regard intéressant sur la condition féminine et le regard des hommes sur les femmes)

+ film qui percute une tradition encore très ancrée dans la société italienne: la tradition selon laquelle les femmes s’occupent des enfants, tabou du patriarcat en Italie

+ film qui a percuté un fait divers au moment de la sortie= féminicide en Italie qui fait l’actualité : d’abord amants disparus puis on comprend que l’homme a fui, puis images de video surveillance où l’on voit le meurtre, l’acharnement, le transport du corps… = batt agemédiatique

Inscription dans l’histoire du cinéma italien:

Liens avec le néo réalisme italien (De Sicca, Rossellini, Visconti) : volonté de filmer les Italiens de la rue, intérêt pour la situation sociale. Le Noir et Blanc se réfère à ce courant (et aussi à la dimension biographique => violences = souvenirs de sa grand-mère) ainsi que la présence du dialecte romain, l’importance accordée aux pers 2ndaires.

+ comédie à l’italienne (1958/1972): les français font de l’humour en se moquant par la caricature ; la comédie à l’italienne parle de sujets graves avec du comique = jeu d’équilibre délicat entre dramatique et comique. On rit mais ensuite on a honte d’avoir ri, violence transformée en danse…

Un habile exercice:

Autrice/actrice: jeu qui rappelle celui de Charlot = travail sur les mimiques

Mais surtout : un film très habile, qui dénonce sans heurter et peut ainsi trouver son public. Elle a fait un film aujourd’hui pour dénoncer qq chose que tout le monde voyait et qu’on ne voulait pas voir : une des raisons du succès = pas moralisateur, ne dénonce pas frontalement = + efficace, les hommes peuvent se retrouver aussi bien dans le titre que dans les rôles masculins                  Habileté perceptible dès le tire, équivoque (espoir ou pas?)