Archives mensuelles : décembre 2022

Les Miens, de Roschdy ZEM

Avez-vous une idée du nombre de films dans lesquels a joué Roschdy Zem le réalisateur du film de ce soir ? Eh bien avec plus de soixante-dix films, il est impossible de citer tous les cinéastes dont il a enrichi le casting et la liste des récompenses récoltées est longue.

Sachant qu’il a véritablement commencé sa carrière au cinéma vers 28 ans et qu’aujourd’hui il en a 57, cela peut donner le vertige.

Roschdy Zem est surtout connu pour ses rôles de flics ou de délinquants sombres et mutiques. Pour autant il interprète une large palette de rôles tant dans le cinéma social que les comédies populaires ou encore les drames psychologiques.

Depuis 2006, cet artiste hyperactif est aussi passé derrière la caméra et Les Miens est son sixième long métrage.

Jeune, il ne pense pas particulièrement à faire carrière dans le cinéma. Il vit à Drancy en banlieue parisienne avec ses parents et ses cinq frères et sœur. Il interrompt ses études en classe de première et devient vendeur au marché aux Puces de la Porte de Clignancourt. Le marché est ouvert en fin de semaine, le reste du temps il est libre. A 20 ans, il découvre le théâtre et monte sur les planches pour un petit rôle dans L’indien cherche le Bronx. Le déclic opère et, parallèlement à son métier de vendeur, il commence à passer des auditions.

En 1987, il débute au cinéma en décrochant une apparition dans le film de Josiane Balasko, Les Keufs. Quatre ans plus tard, André Téchiné le fait jouer dans J’embrasse pas et le réengage pour Ma saison préférée (1993). Sa carrière est définitivement lancée après deux interprétations remarquées : un toxicomane dans N’oublie pas que tu vas mourir de Xavier Beauvois et un veilleur de nuit dans le premier film de Laetitia Masson En avoir ou pas.

Son acteur de référence à l’époque est Patrick Dewaere dont il dit « Je me rappelle sa voix (…), comment il jouait, on avait l’impression qu’il ne jouait pas. »

L’histoire du film de ce soir est inspirée du traumatisme crânien dont a été victime son jeune frère Mustapha au décours duquel il a perdu la mémoire et toute capacité d’inhibition. D’une personne affable douce et généreuse, son frère est devenu agressif, violent et sans aucun filtre social. Vous pouvez imaginer le bouleversement familial que cela a engendré. Alors est ce un handicap ou une liberté ? Je vous laisse réfléchir.

Le scénario a été écrit alors que son frère est convalescent, au moment où l’impact de l’accident était encore très fort. Connaissant la rapidité d’écriture de Maïwenn Le Besco et surtout sa capacité à aller à l’essentiel pour éclairer la vérité, Roschdy Zem l’a sollicitée pour l’écriture. Pendant quatre semaines ils ont collaboré en construisant des fiches parcours pour les personnages qu’ils ont alors données aux acteurs comme base d’interprétation, chaque acteur connaissant la fiche de l’autre. Cela a permis aux acteurs de s’imprégner du rôle et d’improviser librement. Roschdy Zem a également majoré l’impression de vie qui émane du scénario en utilisant pour la mise en scène deux caméras en même temps ce qui fait qu’il n’y a jamais de hors champ. Les caméras sont placées souvent sur l’épaule du caméraman, qui filme en plan séquence. La création de cette illusion de vérité va permettre de faire naître l’émotion et chacun pourra s’identifier dans la vision de cet archétype familial où ça swingue, ça râle, ça pleure, ça rit, ça s’écharpe et ça se réconcilie (ou pas), comme dans (presque) toutes les familles nombreuses mises en tension et déséquilibrées par un drame imprévu.

Beaucoup de scènes sont le verbatim de scènes vécues. Et au delà du traumatisme causé par l’accident de son frère, Roschdy Zem va montrer à l’écran sa propre famille qu’il joue d’ailleurs avec sa famille de cinéma. Comme beaucoup de gens célèbres et très occupés, il a sans doute sacrifié les siens à son métier et il fait au travers de ce film son mea culpa mais aussi il offre un formidable cadeau de cinéma à ses proches. On retrouve à l’écran, Nina sa propre fille, qui joue le rôle de sa nièce et son fils Chad qui fait une apparition au repas final.

En parallèle au film son frère Mustapha a publié un premier roman en octobre Les pas Perdus où il revient sur l’épopée intime de son traumatisme et plus largement sur son parcours de vie après avoir totalement récupéré.

Bon film !

Doris Orlut

 

 

EO, de Jerzy Skolimovski

Avant de vous parler du film du réalisateur polonais Jerzy Skolimowski, il me faut vérifier vos connaissances.

Je ne sais pas si vous avez rencontré un âne polonais. Quand un âne polonais veut s’exprimer, il ne braie pas Hi Han comme son collègue français, mais E O. Mais ce n’est pas très grave, vous comprendrez quand même car le film est sous-titré.

Ensuite, j’ignore si vous avez lu « Voyage avec un âne dans les Cévennes », de Robert Louis Stevenson, paru en 1879. Dans ce livre, Stevenson nous raconte sa marche dans les Cévennes accompagné d’une ânesse qui porte son bagage. S’il y a une certaine analogie entre le livre et notre film, il y a une différence essentielle : dans le film, le personnage principal, c’est l’âne, pas l’homme..

Et avez-vous vu le film « Au hasard Balthazar » de Robert Bresson, sorti en 1966 ? Ce film a très fortement marqué Skolimowski qui a tenu à tourner sa propre version de cette histoire qui l’avait profondément ému. Même thème donc, mais les points de vue des deux réalisateurs sont tout à fait différents : à la philosophie humaniste, janséniste et mélancolique de Bresson s’oppose la rage amère et …je dirais même punkie du réalisateur polonais, qui à 84 ans est d’une modernité époustouflante.

Jerzy SKOLIMOWSKI est né à Loödz, en Pologne en 1938. Il sera marqué par la guerre, mêlé à la résistance malgré son jeune âge du fait de ses parents très engagés contre l’occupant. Son père est mort en déportation et sa mère a continué la lutte. Il garde le souvenir d’une fouille dans sa chambre alors que sa mère avait caché des documents dans le matelas de son fils…

Ami dès le collège avec Vaclav Havel, il sera ensuite artiste peintre, acteur puis cinéaste. Et il deviendra l’un des plus grands noms du nouveau cinéma Polonais avec WAJDA, ZULAWSKI, KIESLOWSKI, et Roman POLANSKI. Ses films, (je citerai notamment « Travail au noir » ou « Le cri du sorcier »)  ont été régulièrement présentés au Festival de Cannes, où il a été membre du Jury. Il y a d’ailleurs obtenu plusieurs fois le grand prix du Jury, et cette année encore pour le film de ce soir.

Dans « EO », JERZY SKOLIMOWSKI embarque son public dans une expérience sensorielle audacieuse, un road movie hors du commun filmé à hauteur des yeux de l’âne. On se souvient qu’il a été peintre car les séquences sont autant de tableaux à couper le souffle. Et le film est baigné par les musiques puissantes de Pawel Mykietyn …et de Beethoven.

Coté casting, l’âne mérite un prix d’interprétation et Isabelle Huppert engagée sans doute pour enrichir la distribution, a été jugée par certains comme « crapahutée de nulle part ».

« EO », allègorie terrible de nos massacres ordinaires, nous conjure de prendre notre vraie place, celle d’un être vivant parmi d’autres, dans le respect de tous.

Et si je puis me permettre de citer l’article de Lydie Pinon dans la Voix de l’Ain sur EO, le coup de coeur de Sylvie Jaillet, on peut dire que SKOLIMOWSKI a su merveilleusement « filmer l’errance d’un âne en peine ».

Marion Magnard

 

 

Armageddon time, de James Gray

Avec Armageddon time, le réalisateur James Gray revient à New York pour un récit autobiographique. Il nous plonge dans les années 80 dans l’univers qui l’a amené à devenir artiste, animé par un désir profond d’émancipation intellectuelle et de justice.

James Gray confronte en toile de fond, le mythe du rêve américain, construit sur l’illusion d’une société sans classe et la réalité éprouvante et oppressante des privilèges de classe, du racisme et des inégalités sociales.

C’est l’époque de l’élection de Ronald Reagan et de l’hégémonie du promoteur immobilier Fred Trump sur le quartier newyorkais du Queens. On découvre d’ailleurs à l’écran Fred Trump, le père de Donald et sa fille Maryane qui siègent au conseil d’administration du lycée privé où les parents de James Gray l’ont inscrit.

Le réalisateur raconte qu’à cette époque sa mère dans la vraie vie, ne cessait de répéter qu’il y allait avoir une guerre nucléaire et qu’enfant il avait eu alors le sentiment que l’apocalypse était imminente. Armageddon time – Apocalypse, vous me suivez ?

Dans la continuité de son œuvre, on retrouve les thèmes forts que sont le déterminisme familial et social, le choix de la liberté et le rapport au père.

Parmi ses fidèles collaborateurs au cinéma, on retrouve Christopher Spelman pour la musique. Christopher Spelman propose une création originale avec des notes de guitare délicates et épurées qui évoquent la candeur de l’enfance. Il agrémente le récit de titres préexistants éclectiques alliant samba brésilienne, air pop italien, disco, musique punk, rap et musique classiques. Vous reconnaitrez le reggae « Armagideon time » interprétée par The Clash.

Je citerai aussi Madeline Weeks, la cheffe costumière, dont c’est la première collaboration avec le réalisateur. Madeline Weeks s’est inspirée des albums photos familiaux et des tenues d’époque ressorties par le père de James Gray en personne. Autre anecdote, le chapeau que porte Anthony Hopkins, le grand-père emblématique du film est le véritable chapeau du grand-père maternel de James Gray.

On retrouve également Darius Khondji, à la direction de la photographie. Darius Khondji s’est attaché à traduire la notion du temps passé et l’évocation des souvenirs. Vous pourrez remarquer la couleur qui évolue peu à peu vers une tonalité sépia, l’utilisation de flous ou encore les travellings à la fin du film. Vous remarquerez également l’utilisation de la lumière dont la source est toujours placée loin des acteurs.

Pour recréer l’aspect des films tournés en 1980, James Gray et son chef opérateur ont eu recours à un simulacre : ils ont tourné avec une caméra Arri Alexa 65 puis ont ensuite transféré les images numériques sur une pellicule photochimique pour les repasser ensuite en numérique.

Je ne vous dirais rien sur les acteurs.

Anne Hataway dans le rôle d’Esther la mère; Jeremy Strong dans le rôle d’Irving le père; Banks Repeta dans le rôle de Paul, l’alter ego de James Gray; Anthony Hopkins dans le rôle d’Aaron le grand-pèreet Jaylin Weeb dans le rôle de Johnny, l’ami d’enfance.

Je vous laisse plonger au cœur du Queens, vaste quartier multiethnique de New York et plus exactement à Flushing, le vrai quartier chinois de la ville où l’on trouve à déguster une délicieuse street food asiatique. Vous comprendrez bientôt pourquoi ce détail a son importance.

Bon film à tous !

Présentation de Doris Orlut

 

 

L’origine du mal, de Sébastien Marnier, 14 novembre

Sébastien MARNIER, né en 1977, a grandi en Seine Saint Denis à la Courneuve dans les logements sociaux de la Cité des 4000. La famille, nombreuse et viscéralement communiste, subit un choc lorsque la mère, à 60 ans, découvre qu’elle a un père richissime.

Sébastien étudie les Arts appliquées, dessin et peinture, puis obtient une licence de cinéma à l’Université Paris 8. Puis il se livre à un travail universitaire autour des films de genre, et en particulier les films pornographiques dont le succès commence à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème.

C’est alors que « Le Forum des Images » lui commande la réalisation d’une compilation de petits films « alléchants », à projeter dans les salles d’attentes des bordels de luxe. Le succès est tel, que Sébastien réalise un nouveau film « Polissons et Galipettes ». Et vous serez sans doute étonnés d’apprendre qu’il sera sélectionné par le Festival de Cannes 2002 dans la catégorie « Quinzaine des réalisateurs », suivi d’une sortie en salles.

Il réalise ensuite, après une période de petits boulots alimentaires, une série pour Arte « Salaire net et monde de brutes ». Il se reconvertit ensuite en journaliste de mode, écrit un roman « Mimi » au souffle délirant, et un autre, « 4 », écrit à 8 mains avec 3 copines. Il fait du théâtre avec Marianne James et tout cela est accueilli par une Critique enthousiaste.

En 2015, il revient à ses premières amours, le cinéma, et réalise « Irréprochable » avec Marina Foïs et Benjamin Biolay, « l’Heure de la Sortie » avec Laurent Lafitte, puis son 3ème film « L’ORIGINE DU MAL ».

Sébastien Marnier est imbibé de cinéma, il s’amuse à le fabriquer, il travaille le son, il joue avec les images et les couleurs, avec les nouvelles techniques, split screens, nom anglais des écrans divisés, avec les lentilles anamorphiques pour déformer les images. Il veut donner du spectacle aux spectateurs et vous pouvez trouver dans ses films des clins d’œil à ses illustres prédécesseurs de toutes les époques et de tous les pays. Dans « l’origine du Mal » vous reconnaitrez entre autres des emprunts qui vont de Billy Wilder à Chabrol en passant par Bunuel.

Et Sébastien Marnier va vous faire découvrir autrement 4 acteurs que vous connaissez très bien : un Jacques Weber extraordinaire de « monstruosité caressante », une Dominique Blanc géniale en Gloria Swanson téléportée du grand cinéma hollywoodien des années 1950, une Laure Calami autre que la femme « nature et solaire », et une Suzanne Clément d’une étonnante brutalité. Et il y a aussi « La Villa », que le réalisateur avait découverte en 2018 et qui lui avait laissé un souvenir tel qu’il l’a immédiatement recherchée pour être le décor central de « l’origine du mal ».

La musique est de l’auteur compositeur chanteur Pierre Lapointe , qui n’est pas rompu à l’exercice de la musique de film, et il n’hésite pas à « secouer les genres » !

Vous allez voir un film baroque, réjouissant, et qui peut aussi vous offrir une méditation cruelle sur le genre humain.

Marion Magnard