Archives de catégorie : Soirées 7ème art

Moulin rouge, de Baz Luhrmann

Moulin Rouge, de Baz Luhrmann – 11 avril 2024 –

Le 14 mai 2001, le Festival de Cannes projetait pour son ouverture « Moulin Rouge ! »

Il se trouve que ce jour-là, j’étais à Cannes et précisément au bas des fameuses marches au tapis rouge, au moment même où une somptueuse voiture vint déposer la magnifique Nicole Kidman, vedette du film. Elle est bien sûr immédiatement entourée par un raz de marée de spectateurs mais au même instant un concert de klaxons émanant d’une 2 chevaux Citroën décapotée d’où émerge un jeune homme souriant, déplace la vague qui se rue avec le même enthousiasme vers la 2 chevaux en criant Aziz, Aziz !

Je n’ai pas oublié le regard stupéfait de Nicole Kidman, heureusement immédiatement entourée par les Officiels.

En ce mois de mai 2001 Aziz était une des vedettes du premier feuilleton de Téléréalité et ce moment reste pour moi la 1ère image de la concurrence Cinéma-Télévision !

On ne pouvait mieux choisir pour illustrer cette soirée CABARET que «  Moulin Rouge ! » œuvre du réalisateur Baz Luhrmann spécialiste des comédies romantiques et musicales.

Baz Luhrmann est né en Australie en 1962, dans un milieu rural. Mais ses parents, tous les deux fervents adeptes de la danse de salon, gèrent aussi dans leur village un petit Théâtre-Cinéma.

Sous cette influence, Baz part tout naturellement étudier à l’Institut National d’Art Dramatique de Sydney, où il fera la connaissance d’une étudiante Catherine Martin, qui deviendra sa femme et travaillera avec lui. Baz forme une troupe avec d’autres étudiants et monte une pièce « Strictly Ball Room », grand succès, dont il fait en 1992 un film « Ball Room Dancing », qui a encore plus de succès. Et ce sera Leonardo Di Caprio qui sera l’acteur principal en 1996 de son film suivant, une adaptation de «  Roméo et Juliette » !

Je ne vous citerai pas tous ses films, ni ses brillantes et célèbres publicités, souvent avec sa compatriote Nicole Kidman, vous avez sans doute admiré « Gatsby le magnifique » et son biopic « Elvis ».  Et ce soir vous allez voir ou revoir « Moulin Rouge ! », qui lui a valu Oscar et Golden Globe…Et je tiens à le souligner, les mêmes distinctions pour sa femme Catherine Martin, pour les costumes et les décors de Moulin Rouge…

La salle des profs, lker Çatak

 

La salle des profs, lker Çatak

 

L’institution scolaire a toujours intéressé les cinéastes, et c’est particulièrement frappant actuellement, elle est en effet au cœur de nombreux films depuis quelques mois. Ne serait–ce qu’en France, on peut citer Un métier sérieux de Thomas Lilti, et Pas de vague, de Teddy Lussi-Modeste, que vus avez peut-être découvert en coup de cœur surprise. Il en va de même en Allemagne, où l’école, comme ici, est un reflet de la société et un lieu où les tensions sociales se manifestent souvent de façon épidermique.

Ilker Catak est né à berlin Ouest en 1984, dans une famille d’immigrés turcs. A 12 ans sa famille déménage à Istanbul où il passe son baccalauréat. Il retourne ensuite en Allemagne pour travailler sur différentes productions cinématographiques : il réalise des publicités, des courts-métrages plus personnels tout en poursuivant des études de cinéma et de télévision. Son 1er long métrage sort en 2017 depuis il enchaîne longs métrages et épisodes de séries.

Le projet est né au cours d’une discussion du réalisateur avec son co-scénariste et ami d’enfance. Tous 2 discutaient de vols dont avaient été victimes certains de leurs proches. Lorsque son ami a évoqué un vol subi par sa sœur , professeur de mathématiques, dans l’école où elle enseigne, ils ont tous 2 évoqués des souvenirs d’enfance de camarades qui volaient dans les affaires des autres mais qu’aucun élève n’avait souhaité dénoncer, jusqu’à ce qu’une fouille ait lieu dans la classe. Pour enrichir cette idée de départ, le réalisateur s’est rendu dans son ancien collège, à Berlin afin de faire des recherches auprès de spécialistes des questions d’éducation. Il a d’ailleurs été accueilli à bras ouverts par son ancien principal ; toutefois le film a été tourné à Hambourg.

Pour le film, le réalisateur a rassemblé des jeunes de 11 à 14 ans, afin de reconstituer une classe équivalente à notre classe de 5ème, classe qui a la particularité de mêler des élèves très différents, certains encore très enfantins et d’autres déjà adolescents. Par la suite, il a tenté de créer une cohésion entre eux, et sur le tournage, tous les matins il passait un long moment à discuter avec eux de toutes sortes de sujets.

Pour le personnage principal, le parti pris du réalisateur est de ne rien montrer d’elle en dehors de sa vie à l’école. Selon lui, le caractère d’une personne finit toujours par se révéler au moment de prendre des décisions difficiles, quand elle est sous stress ou qu’elle doit gérer des problèmes. Le film est donc un huis-clos. Léonie Benech, l’actrice qui interprète ce personnage, a joué dans le Ruban blanc de Mickael haneke mais est surtout connue pour ses rôles dans les séries Babylon Berlin et The crown.

Le film a reçu de nombreux prix en Allemagne et a été nominé pour l’oscar du meilleur film étranger (remporté par Glazer)

 

La vie de ma mère, de Julien Carpentier

LA VIE DE MA MERE

 

Dès l’enfance, Julien Carpentier répétait à qui voulait bien l’entendre qu’il  deviendrait scénariste et réalisateur. Très jeune, il suit les films d’Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri même si ceux-ci s’adressent plutôt aux adultes.

Jaoui c’est aussi le nom de jeune fille de sa mère qui souffre de bipolarité. Agnès Jaoui et elle sont d’ailleurs, toutes les deux, originaires du même quartier de Tunis.

Au départ, son idée était de tourner un court métrage qui raconterait l’histoire d’un homme jeune, qui reçoit un appel de sa grand-mère lui disant que sa mère est là et qu’il doit quitter son travail sur le champ. Il propose ce scénario à Agnès Jaoui à la sortie d’une représentation théâtrale.

15 jours s’écoulent, et voilà qu’elle lui répond avec enthousiasme : elle adore l’histoire, les personnages mais … elle n’est pas disponible pour tourner avec lui.

C’est ainsi que débute leur relation. Julien Carpentier va s’accrocher à son idée de film, pour finalement aboutir à la réalisation de son premier long métrage après plusieurs années de persévérance.

Il va s’inspirer de son vécu familial pour donner à voir les conséquences de cette maladie chronique sur les relations humaines et tenter de libérer la parole autour de la santé mentale.

Il traite le sujet non pas du point de vue du couple, comme Joaquim Lafosse dans Les Intranquilles, mais du point de vue du parent en montrant comment la relation avec son parent peut parfois être toxique .

Julien Carpentier distille dans le scénario des souvenirs authentiques pour illustrer le manque de sommeil, l’alcool, l’hypersexualité, l’énergie débordante les vêtements voyants, etc.

Il choisit des mots, des moments et des chansons qui évoquent des souvenirs parfois difficiles qu’il traite avec humour et tendresse.

Au fil du temps le fils va progressivement mettre des mots sur son vécu pour parvenir à une certaine résilience.

Julien Carpentier adore les chansons de variété qui symbolisent le plaisir de réunir toutes les générations comme la scène où les acteurs interprètent la chanson de Julien Clerc Fais-moi une place.

La musique est de Dom La Neva, violoncelliste d’origine brésilienne qui vit en France. Le film s’achève d’ailleurs sur une chanson qu’elle a spécialement composée.

 

Agnès Jaoui joue Judith, une mère séduisante et séductrice. Elle ne semble pas préoccupée par l’impact que peut avoir son comportement sur son fils. William Lebghil joue Pierre, un fils tiraillé par des émotions contradictoires qui oscillent de la colère au désarroi.

Au début, le personnage taiseux qu’il incarne se réfugie dans le travail, se rassure en voulant tout maîtriser. Puis progressivement il va réussir à lâcher prise et à faire à nouveau confiance à sa mère.

C’est un fleuriste talentueux secondé par Ibou, un collaborateur zêlé interprété par Salif Cissé. Pierre a aussi une amoureuse Lisa jouée par Alison Wheeler qu’il va vouloir préserver de la toxicité maternelle.

Dans La Vie de ma mère, Julien Carpentier réunit une grande dame du cinéma français et un acteur qui monte.

Bonne séance !

Doris Orlut

 

La zone d’intérêt, de Jonathan Glazer

 

Jonathan Glazer est né dans une famille juive à Londres. Ce réalisateur issu du clip et de la publicité, fait un film tous les dix ans environ et la thématique de donner la mort est constante dans ses longs métrages jusque là plutôt fantastiques.

Une si longue gestation cinématographique est sans doute à la hauteur des choix artistiques et techniques du film de ce soir, tant dans la construction du récit que dans celle de l’image ou du son.

Jonathan Glazer a toujours su qu’il travaillerait sur la Shoah. La découverte d’une critique du roman éponyme de Martin Amis, La zone d’intérêt va être le point de départ du projet. Mais en réalité le film, vous allez voir, ne gardera qu’un lien éloigné avec le livre, qui se situe du point de vue des tortionnaires.

Une précision, le terme zone d’intérêt désigne l’enceinte de 40 km qui isolait les camps de concentration du reste du monde.

 

Pendant trois ans, le réalisateur et son équipe vont se plonger dans les archives et les récits historiques, ils vont parcourir les témoignages de victimes et de survivants de la Shoah. Les photographies du commandant du camp avec sa femme et leurs enfants qui seront retrouvées au cours des recherches, serviront au chef décorateur, Chris Oddy, pour l’élaboration des décors de la maison et du jardin.

Jonathan Glazer se saisit du témoignage de l’ancien jardinier du couple Höss, qui raconte qu’à l’annonce de la mutation de son mari, Hedwig refusa de quitter la maison où ils coulaient des jours heureux. Il choisit cette note dramatique comme point de départ du film.

Tout au long du récit, Jonathan Glazer cherche à capturer le contraste entre la banalité du quotidien et l’atrocité de l’espace concentrationnaire, le contraste dit-il « entre quelqu’un qui se verse une tasse de café dans sa cuisine et quelqu’un en train d’être assassiné de l’autre côté du mur… » .

Par souci d’authenticité, il va utiliser les procédés de la téléréalité en installant un dispositif de caméras et de micros, dissimulés dans l’habitation et dans le jardin, comme si les acteurs étaient de vrais personnages surveillés à distance. Ce qui fait que les acteurs jouent en permanence, sans savoir quelle scène sera retenue et sans avoir de retour immédiat du réalisateur, qui n’est pas présent sur le plateau.

Rudolf et Hedwig Höss sont incarnés par deux acteurs de langue allemande, Christian Friedel et Sandra Hüller, que vous avez pu voir dans Anatomie d’une chute.

L’image est toujours centrée sur le personnage principal au premier plan avec une faible profondeur de champ : seuls les premiers plans sont nets, tout le reste est flou ou hors du champ de la caméra.

On aperçoit tout au plus quelques éléments du camp à l’arrière plan de la propriété, les barbelés, la cheminée du four crématoire, le mirador ou la partie supérieure de bâtiment de briques du camp.

Peu de scènes évoquent le génocide des Juifs. La scène où deux ingénieurs viennent présenter à Rudolf Höss un nouveau type de fours crématoires plus performant et puis deux autres scènes qui illustrent le pillage systématique des effets personnels des juifs. La première où un prisonnier apporte de la nourriture et un manteau de vison à Hedwig et la seconde où l’ainé des garçons est surpris par son jeune frère, la nuit, en train de contempler des dents en or.

Cette spoliation systématique fait partie du processus d’ « aryanisation » mis en place : tous les biens qui appartiennent aux Juifs doivent être saisis par les Nazis.

L’obsession familiale de la propreté illustre l’idéologie de la race aryenne, perçue comme la race supérieure, qui doit être en conséquence préservée de toute impureté et contamination. Le travail de sélection des plantes et d’éradication des mauvaises herbes par Hedwig dans son jardin, l’élevage des purs sangs par Rudolf Höss sont autant de métaphores qui viennent illustrer la suprématie de la race aryenne.

La zone d’intérêt est presque construit comme un double film : à l’image la retranscription du récit familial et sur la bande son le récit concentrationnaire. Là encore l’univers acoustique du film est le fruit d’un rigoureux travail de recherches, de témoignages et de dessins d’anciens détenus. Il s’est construit avec le soud désigner et chef monteur son Johnnie Burn. Les sons du camp ont été collectés puis intégrés au film après le tournage.

L’équipe son a dessiné une carte pour établir les dispositions et les distances dans le camp, comprendre jusqu’où, et comment les voix humaines portaient. Elle s’est procuré des véhicules d’époque pour avoir le bruit du moteur d’origine, a enregistré des coups de feu tirés à juste distance entre les bâtiments et le jardin des Höss. Ils ont ensuite voyagé dans plusieurs capitales européennes pour enregistrer des passants la nuit dans différents états d’excitation ou de souffrance, sur le Reeperbahn à Hambourg et aussi pendant les manifestations contre la réforme des retraites à Paris. Ils sont allés voir des matchs de football en Allemagne pour enregistrer des cris agressifs. Puis tout cela a été assemblé, pour représenter le plus fidèlement possible le son du meurtre de masse.

Pour son remarquable travail sur le son dans La zone d’intérêt, Johnnie Burn a reçu le prix CST de l’artiste-Technicien (Commission Supérieure Technique de l’image et du son) au festival de Cannes.

Et maintenant place au film !

Doris Orlut

SI SEULEMENT JE POUVAIS HIBERNER , de Zoljargal PUREVDASH – 15 février 2024

 

« SI SEULEMENT JE POUVAIS HIBERNER », de Zoljargal PUREVDASH – 15 février 2024

Présentation de Marion Magnard

 

Zoljargal Purevdash, réalisatrice mongole, est née en 1990 à Oulan-Bator. Pour ceux qui n’ont pas révisé leur géographie, je précise que Oulan-Bator est la capitale de la Mongolie, ce pays du Sud-est asiatique, entre Russie et Chine, grand comme 3 fois la France, mais avec seulement 3 millions 500 000 habitants. Pays natal de l’immense Gengis Kahn, après une longue et tumultueuse histoire, Il est maintenant sous le régime de la Démocratie Populaire depuis la Constitution du 13 janvier 1992

Les Nomades, venus des grands plateaux chercher du travail dans la capitale, trop pauvres pour se loger dans la ville, ont dû dresser leurs tentes hors de l’enceinte, dans le « Quartier des Yourtes » qui héberge 60 % des habitants de la cité. Et ils n’ont que le charbon à brûler pour tenter de lutter contre les moins 35° de l’hiver mongol. La combustion de ce charbon dégage un intense brouillard et une énorme pollution qui provoquent plus la haine que la compassion chez les 40 % mieux lotis.

C’est dans ce quartier des Yourtes où sa mère tient une petite boutique qu’est née et a vécu Zoljargal, très bonne élève, surtout en math et en physique. Elle est passionnée de cinéma « qui peut changer les gens », nous dit-elle. Etudiante très brillante, elle obtient une bourse qui lui permet d’aller étudier le cinéma au Japon.

« Si seulement je pouvais hiberner », joué dans le quartier des Yourtes et par les gamins du quartier, comme ceux avec lesquels jouait la réalisatrice quand elle était enfant, est le premier long métrage de Zoljargal, qui ouvre au Monde un regard pur sur la Mongolie contemporaine. Les plus âgés d’entre nous évoqueront peut être le cinéma réaliste social italien de l’immédiat après guerre, comme le Voleur de bicyclette de Vittorio de Sica en 1948.

Et je pense que nous pouvons remercier les Sélectionneurs du « Certain Regard » au Festival de Cannes 2023, de nous faire découvrir ce film aussi chaleureux que passionnant.