Goodbye Julia , de Mohamed Kordifani

Au revoir Julia GOODBYE JULIA

Le film de ce soir est le premier film soudanais sélectionné au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard. Il a remporté le prix de la Liberté dont l’objectif est de soutenir financièrement le distributeur français du film primé.

Son réalisateur, Mohamed Kordofani aime écrire des histoires et est passionné par l’art depuis toujours. Il grandit dans les années 80 à Khartoum entouré d’hommes, de son père, de ses oncles, tous très conservateurs et embrasse sans se questionner la culture traditionnelle de son clan.

Ses études en Jordanie et ses voyages vont lentement et progressivement modifier sa manière d’appréhender le monde. Il fait carrière comme ingénieur dans l’industrie aéronautique dans les pays du Golfe, au Bahreïn notamment, où il réside encore aujourd’hui.

Il commence en parallèle à réaliser des courts métrages de fiction ou documentaire comme simple autodidacte. Son premier court tourné en 2016, s’intitule Nyerkuk, ce qui signifie littéralement « Parti pour l’or ». Il raconte la fuite d’un garçon de 10 ans suite à la mort de son père dans une frappe aérienne qui va pour s’en sortir faire alliance avec un voyou qui pille l’intérieur des maisons.

Le deuxième KEJER’S PRISON sorti en 2019, est tourné dans une prison de Khartoum. Mohamed Kordofani choisit de le projeter en public sur une place de la capitale devant le quartier général des militaires lors des sit-in d’avril-mai 2019 pendant la révolution soudanaise contre la junte au pouvoir.

En 2020, il réalise un documentaire A TOUR IN LOVE REPUBLIC que l’on peut traduire par une visite dans la république de l’amour, qui filme cette fois-ci le sit-in des manifestants dissidents.

Quand la pandémie de Covid a commencé et que les vols ont tous été suspendus, Mohamed Kordofani décide alors de quitter l’aviation pour investir l’intégralité de ses économies dans la création d’une société de production et ainsi financer, produire et réaliser Goodbye Julia.

Ce film comme les précédents est nourri des conflits vécus par le peuple soudanais.

Ces conflits sont inhérents à la complexité du Soudan. Tout d’abord l’histoire du Soudan marquée par son passé esclavagiste et colonial qui a divisé la société entre arabes musulmans privilégiés au nord et, noirs catholiques minoritaires au sud. Depuis l’indépendance, le pays est plongé dans la guerre civile ce qui a exacerbé les haines raciales et religieuses.

A ceci s’ajoutent la richesse du sous-sol en or à l’ouest et en pétrole au Soudan du Sud puis la situation géostratégique au bord de la mer Rouge qui échauffe les esprits de ceux qui veulent contrôler le trafic maritime de la Méditerranée vers l’océan Indien et aussi contrôler l’approvisionnement mondial en pétrole.

Ce qui a motivé Mohamed Kordofani à écrire le film de ce soir, c’est le choc et l’incompréhension première ressentis lors du résultat du référendum de 2011 pour lequel les soudanais du sud ont voté à 98% pour l’indépendance. Il n’a pas compris comment une nation entière pouvait souhaiter faire sécession. Mais après réflexion, il a réalisé qu’en fait, bien qu’ayant vécu à Khartoum, il ne connaissait lui-même pas un seul Sud-Soudanais. Il lui semblait en apparence être respectueux mais il les rabaissait inconsciemment, bref il était raciste. Il a alors pris en pleine figure son éducation patriarcale bien pensante et ses conséquences sur le vivre ensemble. Il dit je cite « En écrivant ce film, j’essaye de me débarrasser de ce racisme hérité. Je suis animé par un sentiment de culpabilité et un profond désir de réconciliation. »

Mohamed Kordofani choisit donc de raconter cette période charnière de l’histoire du Soudan par le prisme de l’amitié particulière entre deux femmes l’une du Nord et l’autre du Sud, dans une société foncièrement misogyne.

Les acteurs qui sont réellement originaires du nord et du sud, sont expérimentés ou non. Celui qui jour le rôle de Majier a même été enfant soldat.

Le tournage a débuté 1 an après le coup d’Etat du 25 octobre 2021 au milieu des manifestations et des barrages policiers. L’équipe a été confrontée aux récurrentes coupures d’électricité ou encore aux perturbations des télécommunications visant à saper les protestations. On peut imaginer que les conditions de tournage sur 45 jours ininterrompus ont été éprouvantes.

Mais ironie du sort, alors que Mohamed Kordofani terminait le mixage de son film à Beyrouth, une nouvelle guerre a éclaté au Soudan (le 15 avril 2023), détruisant une grande partie de sa capitale.

La plupart de ses collaborateurs sur le film ont dû fuir en Éthiopie ou en Égypte voisines, leurs vies, comme celles de toutes les populations, une nouvelle fois menacées…