Archives de catégorie : Séances du jeudi soir

La zone d’intérêt, de Jonathan Glazer

 

Jonathan Glazer est né dans une famille juive à Londres. Ce réalisateur issu du clip et de la publicité, fait un film tous les dix ans environ et la thématique de donner la mort est constante dans ses longs métrages jusque là plutôt fantastiques.

Une si longue gestation cinématographique est sans doute à la hauteur des choix artistiques et techniques du film de ce soir, tant dans la construction du récit que dans celle de l’image ou du son.

Jonathan Glazer a toujours su qu’il travaillerait sur la Shoah. La découverte d’une critique du roman éponyme de Martin Amis, La zone d’intérêt va être le point de départ du projet. Mais en réalité le film, vous allez voir, ne gardera qu’un lien éloigné avec le livre, qui se situe du point de vue des tortionnaires.

Une précision, le terme zone d’intérêt désigne l’enceinte de 40 km qui isolait les camps de concentration du reste du monde.

 

Pendant trois ans, le réalisateur et son équipe vont se plonger dans les archives et les récits historiques, ils vont parcourir les témoignages de victimes et de survivants de la Shoah. Les photographies du commandant du camp avec sa femme et leurs enfants qui seront retrouvées au cours des recherches, serviront au chef décorateur, Chris Oddy, pour l’élaboration des décors de la maison et du jardin.

Jonathan Glazer se saisit du témoignage de l’ancien jardinier du couple Höss, qui raconte qu’à l’annonce de la mutation de son mari, Hedwig refusa de quitter la maison où ils coulaient des jours heureux. Il choisit cette note dramatique comme point de départ du film.

Tout au long du récit, Jonathan Glazer cherche à capturer le contraste entre la banalité du quotidien et l’atrocité de l’espace concentrationnaire, le contraste dit-il « entre quelqu’un qui se verse une tasse de café dans sa cuisine et quelqu’un en train d’être assassiné de l’autre côté du mur… » .

Par souci d’authenticité, il va utiliser les procédés de la téléréalité en installant un dispositif de caméras et de micros, dissimulés dans l’habitation et dans le jardin, comme si les acteurs étaient de vrais personnages surveillés à distance. Ce qui fait que les acteurs jouent en permanence, sans savoir quelle scène sera retenue et sans avoir de retour immédiat du réalisateur, qui n’est pas présent sur le plateau.

Rudolf et Hedwig Höss sont incarnés par deux acteurs de langue allemande, Christian Friedel et Sandra Hüller, que vous avez pu voir dans Anatomie d’une chute.

L’image est toujours centrée sur le personnage principal au premier plan avec une faible profondeur de champ : seuls les premiers plans sont nets, tout le reste est flou ou hors du champ de la caméra.

On aperçoit tout au plus quelques éléments du camp à l’arrière plan de la propriété, les barbelés, la cheminée du four crématoire, le mirador ou la partie supérieure de bâtiment de briques du camp.

Peu de scènes évoquent le génocide des Juifs. La scène où deux ingénieurs viennent présenter à Rudolf Höss un nouveau type de fours crématoires plus performant et puis deux autres scènes qui illustrent le pillage systématique des effets personnels des juifs. La première où un prisonnier apporte de la nourriture et un manteau de vison à Hedwig et la seconde où l’ainé des garçons est surpris par son jeune frère, la nuit, en train de contempler des dents en or.

Cette spoliation systématique fait partie du processus d’ « aryanisation » mis en place : tous les biens qui appartiennent aux Juifs doivent être saisis par les Nazis.

L’obsession familiale de la propreté illustre l’idéologie de la race aryenne, perçue comme la race supérieure, qui doit être en conséquence préservée de toute impureté et contamination. Le travail de sélection des plantes et d’éradication des mauvaises herbes par Hedwig dans son jardin, l’élevage des purs sangs par Rudolf Höss sont autant de métaphores qui viennent illustrer la suprématie de la race aryenne.

La zone d’intérêt est presque construit comme un double film : à l’image la retranscription du récit familial et sur la bande son le récit concentrationnaire. Là encore l’univers acoustique du film est le fruit d’un rigoureux travail de recherches, de témoignages et de dessins d’anciens détenus. Il s’est construit avec le soud désigner et chef monteur son Johnnie Burn. Les sons du camp ont été collectés puis intégrés au film après le tournage.

L’équipe son a dessiné une carte pour établir les dispositions et les distances dans le camp, comprendre jusqu’où, et comment les voix humaines portaient. Elle s’est procuré des véhicules d’époque pour avoir le bruit du moteur d’origine, a enregistré des coups de feu tirés à juste distance entre les bâtiments et le jardin des Höss. Ils ont ensuite voyagé dans plusieurs capitales européennes pour enregistrer des passants la nuit dans différents états d’excitation ou de souffrance, sur le Reeperbahn à Hambourg et aussi pendant les manifestations contre la réforme des retraites à Paris. Ils sont allés voir des matchs de football en Allemagne pour enregistrer des cris agressifs. Puis tout cela a été assemblé, pour représenter le plus fidèlement possible le son du meurtre de masse.

Pour son remarquable travail sur le son dans La zone d’intérêt, Johnnie Burn a reçu le prix CST de l’artiste-Technicien (Commission Supérieure Technique de l’image et du son) au festival de Cannes.

Et maintenant place au film !

Doris Orlut

SI SEULEMENT JE POUVAIS HIBERNER , de Zoljargal PUREVDASH – 15 février 2024

 

« SI SEULEMENT JE POUVAIS HIBERNER », de Zoljargal PUREVDASH – 15 février 2024

Présentation de Marion Magnard

 

Zoljargal Purevdash, réalisatrice mongole, est née en 1990 à Oulan-Bator. Pour ceux qui n’ont pas révisé leur géographie, je précise que Oulan-Bator est la capitale de la Mongolie, ce pays du Sud-est asiatique, entre Russie et Chine, grand comme 3 fois la France, mais avec seulement 3 millions 500 000 habitants. Pays natal de l’immense Gengis Kahn, après une longue et tumultueuse histoire, Il est maintenant sous le régime de la Démocratie Populaire depuis la Constitution du 13 janvier 1992

Les Nomades, venus des grands plateaux chercher du travail dans la capitale, trop pauvres pour se loger dans la ville, ont dû dresser leurs tentes hors de l’enceinte, dans le « Quartier des Yourtes » qui héberge 60 % des habitants de la cité. Et ils n’ont que le charbon à brûler pour tenter de lutter contre les moins 35° de l’hiver mongol. La combustion de ce charbon dégage un intense brouillard et une énorme pollution qui provoquent plus la haine que la compassion chez les 40 % mieux lotis.

C’est dans ce quartier des Yourtes où sa mère tient une petite boutique qu’est née et a vécu Zoljargal, très bonne élève, surtout en math et en physique. Elle est passionnée de cinéma « qui peut changer les gens », nous dit-elle. Etudiante très brillante, elle obtient une bourse qui lui permet d’aller étudier le cinéma au Japon.

« Si seulement je pouvais hiberner », joué dans le quartier des Yourtes et par les gamins du quartier, comme ceux avec lesquels jouait la réalisatrice quand elle était enfant, est le premier long métrage de Zoljargal, qui ouvre au Monde un regard pur sur la Mongolie contemporaine. Les plus âgés d’entre nous évoqueront peut être le cinéma réaliste social italien de l’immédiat après guerre, comme le Voleur de bicyclette de Vittorio de Sica en 1948.

Et je pense que nous pouvons remercier les Sélectionneurs du « Certain Regard » au Festival de Cannes 2023, de nous faire découvrir ce film aussi chaleureux que passionnant.

Priscilla, de Sofia Coppola, 25 janvier 2024

PRISCILLA

Sofia Coppola est passionnée par la mode, la photographie et la musique depuis toujours. Son parcours artistique est remarquable, au sens où elle peut aussi bien créer une collection d’accessoires Louis Vuitton, que mettre en scène des opéras lyriques ou réaliser une salle d’exposition pour un musée.

Dans le film de ce soir, qui est très différent du film Elvis de Baz Luhrmann sorti en 2022, elle s’inspire du livre autobiographique de Priscilla Beaulieu-Presley Elvis et Moi, écrit en 1985.

Sofia Coppola y dépeint la vie du King à travers les yeux de sa très jeune épouse. Elle aborde la thématique de la quête identitaire de la jeunesse mais aussi celle de l’héroïne-poupée, enserrée dans une prison dorée comme dans son précédent long métrage Virgin Suicides.

Le film reconstitue le décor très glamour de Graceland, à partir de photographies d’époque fournies par Priscilla Presley et de celles réalisées par William Eggleton au moment où la maison du King a ouvert au public en 1982. Il est tourné en studio à Toronto avec un budget plutôt serré, autour de 20 millions de dollars, contre 85 millions de dollars pour le Elvis de Baz Luhrmann.

Dans une approche à l’esthétique impressionniste, la lumière évolue entre teintes marron en contre-jour et couleurs pastel douces et sucrées très lumineuses qui créent l’atmosphère et illustrent les ressentis de l’héroïne.

Vous n’entendrez aucun titre culte du King puisque la société qui gère l’héritage du chanteur a refusé les droits à Sofia Coppola.

Ainsi la Bande Originale mélange des classiques américains et des parties instrumentales composées par les frères Raphaël et interprétées par le groupe d’Indie pop Phoenix auquel appartient Thomas Mars, le mari de Sofia Coppola. C’est une longue collaboration professionnelle qui unit ces deux-là puisqu’ils se sont rencontrés lors de la préparation de la Bande Originale de son premier long métrage Virgin Suicides, en 1999.

Pour incarner les protagonistes à l’écran, la réalisatrice a choisi deux étoiles montantes de la scène hollywoodienne.

Cailee Spaeny, américaine de 25 ans interprète Priscilla. Elle est peu connue du public et a joué dans des thrillers et des séries de science fiction. Elle a reçu le prix d’interprétation féminine à la Mostra de Venise pour son rôle dans Priscilla.

Jacob Elordi, jeune acteur australien charismatique de 26 ans, interprète Elvis. Propulsé du jour au lendemain au rang de célébrité grâce à la comédie romantique The kissing booth, la cabine à baisers et pour son rôle d’antihéros dans la série non moins américaine Euphoria.

Bonne séance à tous !

 

Winter Break, d’Alexander Payne

Winter break, Alexander Payne

Nous vous proposons ce soir de refermer la parenthèse enchantée des fêtes de fin d’année avec ce film d’Alexander Payne, un réalisateur qui a tourné avec les plus grands acteurs américains (Nicholson dans M. Schmidt, Matt Damon miniaturisé dans Downsizing ou encore Georges Clooney dans The descendants). Ce film nous offre une reconstitution d’un hiver des années 70 dans un prestigieux lycée d’enseignement privé pour garçons de la Nouvelle-Angleterre, reconstitution qui rappelle l’âge d’or du cinéma américain. Et pourtant, malgré cet ancrage américain, il s’inspire d’un film français de 1935 : Merlusse, de Marcel Pagnol, qui raconte l’histoire de quelques lycéens laissés-pour-compte à l’internat. Durant les vacances de Noël, ils doivent faire face au plus redoutable des surveillants, Merlusse, au visage balafré. Or au moment où le réalisateur réfléchissait à ce sujet, il a reçu le scénario d’un épisode pilote pour une série située dans un lycée de garçon. Payne a donc proposé au scénariste d’en faire un long métrage.

Le scénario était situé dans les années 80, Payne l’a situé plus tôt car tous ses films subissent l’influence des années 70, époque où, adolescent, il a vu des tas de films du monde entier. Mais c’est aussi pour s’appuyer sur des éléments autobiographiques. En effet, son père était professeur dans un lycée privé où lui-même a été élève, voici le souvenir qu’il en garde : « J’y ai passé six ans et plusieurs des personnages du film sont des composites de gens que j’ai rencontrés là-bas. C’est un univers tellement à part, on y est confronté à beaucoup de richesse et de privilèges, mais aussi à beaucoup de souffrance. L’adolescence est une phase difficile. ».

Payne nous ramène dans les années 70 non seulement par le décor et l’esthétique mais aussi par la forme, la manière de filmer, notamment au moment du générique avec le grésillement de la bande-son, les couleurs désaturées. Le film a été tourné en numérique mais à toutes les caractéristiques d’un film tourné sur pellicule, comme s’il avait réellement été tourné à cette époque.

Pour interpréter son trio de personnages principaux, il a choisi d’abord Paul Giamatti, qui avait déjà tourné dans Sideways il y a 20 ans et qui a tenu à porter un manteau à Brandebourgs comme en portait son père. Pour le jeune homme, il a fait appel à un débutant, Dominic Sessa, actuellement élève de terminale. Quant à la cuisinière, elle est interprétée par Da’vine John Randolph qui vient d’obtenir le Golden Globe de la meilleure actrice dans un 2nd rôle pour sa prestation dans ce film, alors que Giamatti a obtenu celui de meilleur acteur dans une comédie. .

Un mot sur le titre : figurez-vous que « Winter break » est la version française du titre original : « The Holdovers ». « Winter break » met l’accent sur le contexte alors que l’original, que l’on peut traduire par « ceux qui restent », met en lumière les personnages principaux. Parions que vous allez vous attacher à ce trio de mal-aimés et de solitaires, à travers ce film qui commence comme une caricature mais se termine tout en tendresse et en subtilité!

Le Théorème de Marguerite, d’Anna Novion, 21 décembre 2023

Le Théorème de Marguerite, d’Anna Novion

21 décembre 2023

Présentation de Marion Magnard

 

Anna NOVION, réalisatrice franco-suédoise, est née à Paris en 1979. Sa mère est suédoise, son père travaille dans le Cinéma, il est directeur de la Photographie.

Anna a 20 ans quand une grave maladie l’oblige à rester cloîtrée loin de ses amis et elle estime que c’est cet éloignement qui a provoqué un décalage entre elle et les gens de son âge. Est-ce pour cela qu’elle tombe amoureuse d’un acteur français Jean Pierre Darroussin, de 26 ans son aîné ? Il hésite à l’épouser, elle est si jeune et il a déjà 2 grandes filles d’un précédent mariage, et qui ont presque son âge… Il présente Anna à son groupe d’amis Guédiguian – Ascaride, qui l’accueille à bras ouverts. «  Elle a une réelle maturité, nous dit il, et moi il est vrai que je suis resté très gamin ». Ils se marient et leur petit Vincent a maintenant 8 ans.

Anna a tourné 3 courts métrages assez remarqués, puis 2 films primés dans des festivals, « Les grandes Personnes » et « Rendez vous à Kiruna ». Et elle a une autre passion que le cinéma, le jeu de Mah Jong.

Pour son 3ème long métrage, elle aimerait étudier l’histoire d’une très jeune fille qui n’a qu’une passion, les   Mathématiques. Elle demande à un ami, professeur à l’Ecole Normale supérieure, de lui faire connaitre un mathématicien susceptible de lui servir de conseiller et c’est ainsi qu’elle rencontre Ariane MEZARD.

Ariane MEZARD, professeur à la Sorbonne spécialiste de la géométrie arithmétique et Anna NOVION sympathisent immédiatement, toutes deux bienveillantes et curieuses de tout. Et ensemble elles constatent que Cinéma et Mathématiques ne sont pas des domaines étrangers, ils ont en commun d’être des oeuvres de création et de travail en équipe.

De l’écriture au tournage, Ariane et toute son équipe de chercheurs ont participé à la réalisation du film et ont même prêté leurs locaux. Les équations que vous verrez dans le film sont celles-là mêmes qui font l’objet de leur étude. Ne supportant pas la moindre erreur ils voulaient écrire eux-mêmes les équations aux tableaux, ce que les 3 acteurs principaux leur disputaient.

Ces 3 acteurs, ce sont Ella RUMPF, que vous avez déjà découverte en étudiante véto dans « Grave » de Julia Ducournau, Jean Pierre Darroussin le professeur, et l’étudiant charmeur Julien Frison. Ils voulaient absolument imposer leurs marques et se faisaient bombarder de morceaux de craies par les chercheurs outrés par leurs approximations…

Et je crois que l’on peut dire qu’Anna Novion a su rendre cinématographiques les Mathématiques !

 

Soleil vert, de Richard Fleischer

Soleil vert, de Richard Fleischer

Nous sommes heureux, comme chaque année, de vous proposer cette soirée en partenariat avec la MJC, dans le cadre du Festisol, rendez-vous annuel international qui cherche à promouvoir une solidarité ouverte sur le monde. Chaque année, les animations sont regroupées autour d’un thème fédérateur, et cette année il s’agit de la souveraineté alimentaire. Vous avez pu assister à différentes animations sur ce thème et vous pouvez encore découvrir à la MJC une exposition intitulée « Nourrir l’humanité avec humanité ». Sur ce sujet, la MJC a présenté samedi dernier un documentaire intitulé La ferme à Gégé, quant à nous, nous avons choisi de vous faire redécouvrir un film d’anticipation tourné en 1972, mais dont l’action est située en 2022, afin de réfléchir à la façon dont on envisageait notre présent il y a 50 ans.

Dans les œuvres d’anticipation, il y a 2 manières d’envisager le futur et de dénoncer les défauts du présent: soit en imaginant un avenir utopique, où l’humanité aura enfin trouvé l’harmonie et aura gommé les défauts de notre monde ; soit, et c’est le plus répandu, en imaginant un futur dystopique où les défauts de notre société se sont accentués jusqu’à mener notre monde à sa perte. C’est ce que fait ce film, librement inspiré d’un roman écrit en 1966, en nous projetant dans une ville de New York surpeuplée de 40 millions d’habitants, étouffée par la chaleur et la pollution. Le roman mettait l’accent sur le danger de la surpopulation et prônait la contraception et le contrôle des naissances pour améliorer l’avenir de l’homme. Le film, 6 ans plus tard, met l’accent sur la crise écologique qui menace l’humanité. Il dépeint un futur dans lequel les océans sont mourants et la canicule est présente toute l’année en raison de l’effet de serre. La surpopulation a engendré une pression insoutenable sur les ressources naturelles de la Terre, rendant l’alimentation des masses dépendante d’un produit manufacturé, le Soylent green (il faut noter au passage que le mot Soylent n’a rien à voir avec le mot français « soleil », c’est une contraction des mots « soja » et « lentilles »). L’entreprise productrice du Soylent green jouit d’une puissance incontrôlée, qui n’est pas sans rappeler le poids des multinationales dans nos sociétés. Le film montre également une société dans laquelle la division sociale est exacerbée. Une fracture abyssale s’est creusée entre une minorité fortunée et une majorité complètement démunie.

Le film mélange 2 genres : le film d’anticipation mais aussi le film policier, dont le rôle principal est tenu par Charlton Heston, qui mène l’enquête pour percer le secret du Soylent green. Vous reconnaîtrez peut–être aussi Edward G Robinson, grand acteur des années 30/40, qui tient dans ce film son dernier rôle à l’écran, et qui allait mourir très peu de temps après ; et Joseph Cotten, qui a souvent tourné avec Orson Welles et Hitchcock.

Bonne séance !

Killers of the flower moon, de Martin Scorsese

Killers of the flower moon, de Martin Scorsese

Présentation très brève ce soir parce que le film est très long et parce que je ne vous ferai pas l’affront de vous présenter le réalisateur, qui a fêté ses 80 ans l’année dernière et qui est devenu un monument du cinéma avec ses 27 longs métrages de fiction mais aussi ses documentaires sur le cinéma et j’en passe…

Le film que nous allons voir est l’adaptation d’un récit non fictionnel de David Grann (l’auteur également de The Lost City of Z, adapté par James Gray), paru en 2017 (sous le titre La Note américaine en français), dans lequel l’auteur retrace son enquête sur des meurtres perpétrés dans les années 1920 sur plusieurs membres du peuple Osage, assassinés après avoir trouvé du pétrole sur leurs terres. Scorsese a vu dans ce sujet l’occasion de réaliser son propre western : « J’ai toujours voulu faire un western, mais je ne suis jamais passé à l’acte. J’ai aimé d’innombrables westerns dans ma jeunesse et je les aime toujours. (…) J’aimais les films construits autour des mythes traditionnels du western davantage que les westerns psychologiques. Mais l’intérêt de bien connaître l’histoire du cinéma est de ne jamais reproduire ou répéter ce qui a déjà été fait. Il s’agit de s’en inspirer et d’avancer. Ces films m’ont nourri en tant que cinéaste mais ils m’ont aussi donné envie d’aller plus loin dans l’histoire réelle. »

Scorsese réunit ici pour la 1ère fois ses 2 acteurs fétiches, Robert de Niro, avec qui il a déjà tourné 9 films, et Léonardo di Caprio, 5 films (ils ont déjà tourné 2 films ensemble mais pour d’autres réalisateurs). Par ailleurs, une grande partie du casting est bien sûr composée de natifs américains. Une petite anecdote au sujet de l’actrice principale, Lily Gladstone: elle était sur le point de quitter le cinéma en 2020 et de postuler à un poste au ministère de l’agriculture, mais alors qu’elle allait rentrer son code de carte bleue, elle a reçu une notification par mail de l’équipe de Martin Scorsese pour une demande de participation à une réunion en visioconférence, Scorsese l’avait repérée dans les films de Kelly Richard , pour qui elle a beaucoup tourné.

Pour terminer, quelques mots sur le titre du film, qui est le titre original du livre de Grann. Aux Etats-Unis, certaines tribus amérindiennes appelaient la pleine lune du mois de mai la « Lune des fleurs » (Flower Moon). Cette période correspondait à la floraison de la fleur de lune, or il s’agit de la période des assassinats dépeints dans le livre. Cette fleur promesse de récoltes abondantes pour les Osage est ainsi détournée de son sens initial pour lui donner une connotation dramatique et sombre.

 

 

Le ravissement, d’Iris Kaltenback

LE RAVISSEMENT, de Iris KALTENBACK –

Iris KALTENBACK, la réalisatrice du film que vous allez découvrir est née à Paris en 1988. Sa mère est française, son père autrichien, son demi-frère américain, et chacun vit sa vie sans trop s’occuper des autres. Iris se sent seule et adolescente se trouve un refuge près de son lycée dans un vidéoclub qui l’accueille chaleureusement et où elle voit tous les films. Après un bac Sciences de la terre, elle fait des études de philo et de droit, suivies d’un stage chez une avocate pénaliste. Et Iris raconte : « Les tribunaux, ce sont de vraies mines à fictions, c’est une bonne école de cinéma. Et l’avantage du cinéma, c’est qu’il n’y a pas la frustration apportée par la nécessité d’un jugement. Et je trouve beau de chercher comment le vrai peut émerger d’un marécage de faux ».

Après un autre stage sur la mise en scène au théâtre, elle décide d’intégrer la FEMIS, la célèbre école de cinéma, dans la spécialité « scènarios ».

Et c’est en adaptant des faits divers travaillés lors de son stage dans les tribunaux qu’elle tourne son premier court métrage « le vol des cigognes » en 2015 puis son premier long métrage « Le ravissement » qui est aussi inspiré du livre de Marguerite Duras, «  le Ravissement de Lol V Stein » où Iris a retrouvé des thèmes qui lui sont chers, l’obsession et le déni du chagrin. Et je vous rappelle que le mot Ravissement a 2 sens…

Le rôle principal du Ravissement est tenu par Hefsia HERZI, née en 1987, donc une contemporaine d’Iris. La famille, de 6 enfants, avec un père tunisien et une mère algérienne, vit à Marseille. Hefsia, très jolie petite fille, est retenue pour tourner dans des téléfilms dès l’âge de 13 ans. Elle a 17 ans quand l’auditionnant pour un rôle secondaire dans « La graine et le Mulet » qu’il prépare, Kéchiche la trouve tellement juste et émouvante qu’il l’engage pour le rôle principal. Je suis sûre que vous n’avez pas oublié la danse qu’elle doit faire durer et durer pour donner à son père le temps de trouver la graine nécessaire au festin attendu dans son restaurant !

Césarisée meilleur espoir féminin, elle s’installe à Paris, suit des cours de théatre, tourne comme actrice (vous l’avez vue entre autres dans « Apollonide » de Bonello et dans « La source des femmes ») et comme réalisatrice, dans « Bonne mère » et « tu mérites un amour »

Et le travail exceptionnel de ces deux jeunes femmes nous donne un film mené de main de maître, singulier, complexe, à la fois tendre et inquiétant.

 

 

Goodbye Julia , de Mohamed Kordifani

Au revoir Julia GOODBYE JULIA

Le film de ce soir est le premier film soudanais sélectionné au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard. Il a remporté le prix de la Liberté dont l’objectif est de soutenir financièrement le distributeur français du film primé.

Son réalisateur, Mohamed Kordofani aime écrire des histoires et est passionné par l’art depuis toujours. Il grandit dans les années 80 à Khartoum entouré d’hommes, de son père, de ses oncles, tous très conservateurs et embrasse sans se questionner la culture traditionnelle de son clan.

Ses études en Jordanie et ses voyages vont lentement et progressivement modifier sa manière d’appréhender le monde. Il fait carrière comme ingénieur dans l’industrie aéronautique dans les pays du Golfe, au Bahreïn notamment, où il réside encore aujourd’hui.

Il commence en parallèle à réaliser des courts métrages de fiction ou documentaire comme simple autodidacte. Son premier court tourné en 2016, s’intitule Nyerkuk, ce qui signifie littéralement « Parti pour l’or ». Il raconte la fuite d’un garçon de 10 ans suite à la mort de son père dans une frappe aérienne qui va pour s’en sortir faire alliance avec un voyou qui pille l’intérieur des maisons.

Le deuxième KEJER’S PRISON sorti en 2019, est tourné dans une prison de Khartoum. Mohamed Kordofani choisit de le projeter en public sur une place de la capitale devant le quartier général des militaires lors des sit-in d’avril-mai 2019 pendant la révolution soudanaise contre la junte au pouvoir.

En 2020, il réalise un documentaire A TOUR IN LOVE REPUBLIC que l’on peut traduire par une visite dans la république de l’amour, qui filme cette fois-ci le sit-in des manifestants dissidents.

Quand la pandémie de Covid a commencé et que les vols ont tous été suspendus, Mohamed Kordofani décide alors de quitter l’aviation pour investir l’intégralité de ses économies dans la création d’une société de production et ainsi financer, produire et réaliser Goodbye Julia.

Ce film comme les précédents est nourri des conflits vécus par le peuple soudanais.

Ces conflits sont inhérents à la complexité du Soudan. Tout d’abord l’histoire du Soudan marquée par son passé esclavagiste et colonial qui a divisé la société entre arabes musulmans privilégiés au nord et, noirs catholiques minoritaires au sud. Depuis l’indépendance, le pays est plongé dans la guerre civile ce qui a exacerbé les haines raciales et religieuses.

A ceci s’ajoutent la richesse du sous-sol en or à l’ouest et en pétrole au Soudan du Sud puis la situation géostratégique au bord de la mer Rouge qui échauffe les esprits de ceux qui veulent contrôler le trafic maritime de la Méditerranée vers l’océan Indien et aussi contrôler l’approvisionnement mondial en pétrole.

Ce qui a motivé Mohamed Kordofani à écrire le film de ce soir, c’est le choc et l’incompréhension première ressentis lors du résultat du référendum de 2011 pour lequel les soudanais du sud ont voté à 98% pour l’indépendance. Il n’a pas compris comment une nation entière pouvait souhaiter faire sécession. Mais après réflexion, il a réalisé qu’en fait, bien qu’ayant vécu à Khartoum, il ne connaissait lui-même pas un seul Sud-Soudanais. Il lui semblait en apparence être respectueux mais il les rabaissait inconsciemment, bref il était raciste. Il a alors pris en pleine figure son éducation patriarcale bien pensante et ses conséquences sur le vivre ensemble. Il dit je cite « En écrivant ce film, j’essaye de me débarrasser de ce racisme hérité. Je suis animé par un sentiment de culpabilité et un profond désir de réconciliation. »

Mohamed Kordofani choisit donc de raconter cette période charnière de l’histoire du Soudan par le prisme de l’amitié particulière entre deux femmes l’une du Nord et l’autre du Sud, dans une société foncièrement misogyne.

Les acteurs qui sont réellement originaires du nord et du sud, sont expérimentés ou non. Celui qui jour le rôle de Majier a même été enfant soldat.

Le tournage a débuté 1 an après le coup d’Etat du 25 octobre 2021 au milieu des manifestations et des barrages policiers. L’équipe a été confrontée aux récurrentes coupures d’électricité ou encore aux perturbations des télécommunications visant à saper les protestations. On peut imaginer que les conditions de tournage sur 45 jours ininterrompus ont été éprouvantes.

Mais ironie du sort, alors que Mohamed Kordofani terminait le mixage de son film à Beyrouth, une nouvelle guerre a éclaté au Soudan (le 15 avril 2023), détruisant une grande partie de sa capitale.

La plupart de ses collaborateurs sur le film ont dû fuir en Éthiopie ou en Égypte voisines, leurs vies, comme celles de toutes les populations, une nouvelle fois menacées…

Les feuilles mortes, d’Ari Kaurismaki

Aki Kaurismäki naît en 1957. Fin des années 1970, il étudie le journalisme à l’université de Tampere en Finlande. À cette époque, il est membre du ciné club, participe à l’organisation du festival du film local et écrit des critiques de film pour la revue étudiante. Hésitant entre l’écriture et le 7ème art, il est recalé à l’entrée de l’école de cinéma car jugé trop cynique.

C’est ainsi qu’il rejoint son grand-frère Mika à Munich, où celui-ci poursuit des études de cinéma. Pour gagner sa vie, il exerce différents métiers : facteur, plongeur, ouvrier du bâtiment. En parallèle, il suit les séances de la cinémathèque locale dirigée par Enno Patalas, expert et historien de cinéma et c’est donc comme çà qu’il fait son apprentissage cinématographique en pur autodidacte. Mika lui propose ensuite de faire l’acteur dans son film de fin d’études, la carrière d’Aki Kaurismäki peut alors commencer.

Les deux frères, cinéphiles et amoureux de la Nouvelle Vague vont par la suite monter une société de production qu’ils appelleront Alphaville en hommage au film de Jean-Luc Godard.

Tout au long de sa création artistique, Aki Kaurismäki ne cesse de dénoncer les dérives d’une société capitaliste et bureaucratique qui oublie l’être humain et détruit son environnement. Il aime mettre en lumière la vie des gens ordinaires, leurs joies et leurs peines. Quatre thématiques se dégagent de la filmographie de Kaurismäki : l’adaptation de classiques de la littérature, Crime et châtiment son premier long métrage sorti en 1983, le road-movie musical et déjanté, Leningrad cow-boys sorti en 1989 et enfin les sagas des ouvriers et des exclus.

Certains d’entre vous se souviendront peut-être qu’il y a 6 ans, au moment de la sortie de L’autre côté de l’espoir, une comédie sur les migrants, Aki Kaurismäki avait déclaré à la télévision finlandaise que ce serait son dernier film.

Aujourd’hui il fait son retour et signe avec Les feuilles mortes le quatrième opus de sa tétralogie ouvrière après Ombres au paradis, Ariel et La fille aux allumettes.

Il n’utilise sans doute plus la caméra d’Ingmar Bergman, mais il reste toujours fidèle à l’argentique. Le film de ce soir est tourné en partie en studio et dans le quartier ouvrier de la ville d’Helsinki. Dès les premières images, on reconnaît la signature d’Aki Kaurismäki avec des plans sombres, cadrés comme des décors de théâtre et illuminés de couleurs jaunes, rouges, vertes et bleues comme dans les tableaux d’Edward Hopper.

Le décor est totalement anachronique mêlant des accessoires en formica et bakélite, un cinéma de quartier qui exhibe de vieilles affiches de film et un transistor qui distille des nouvelles de la guerre d’Ukraine.

Jusqu’au dernier plan du film, on retrouve des références cinématographiques tantôt à Bresson, Ozu, Chaplin, ses divinités domestiques tels qu’il aime à les nommer.

Au centre de ce décor évoluent les acteurs qui parlent peu et dont l’expression tient parfois dans un simple échange de regard.

Alma Pöysti dans le rôle d’Ansa et Jussi Vatanen dans le rôle d’Holappa interprètent deux âmes en peine, une caissière de supermarché solitaire et un ouvrier alcoolique. Ils se croisent dans un bar karaoké, véritable institution en Finlande et c’est le coup de foudre.

Je vous laisse découvrir Les feuilles mortes qui a reçu le prix du jury 2023 au festival de Cannes.