Archives de catégorie : Les fiches de présentation des films

Les fiches de présentations rédigées par les bénévoles et présentées avant les séances « Toiles Émoi ».

Un simple accident, de Jafar Panahi

UN SIMPLE ACCIDENT, de Jafar PANAHI – 25 /9/2025- Pr Marion Magnard

C’est clandestinement que Jafar PANAHI, réalisateur et producteur iranien, a tourné « Un simple accident », palme d’or du Festival de Cannes 2025. Et vous allez le voir en avant- première puisqu’il sort officiellement le 1er octobre.

Dès le début du 20ème siècle, sous l’impulsion du shah MOZZAFFAREDIN, qui avait découvert le cinématographe lors d’une cure à Contrexéville, l’industrie du Cinéma s’est développée rapidement avec essentiellement des films populaires.

Avec la révolution islamique, le cinéma devient un instrument du pouvoir. Mais en même temps que notre nouvelle vague, un mouvement différent dit Motafavet fait émerger des cinéastes novateurs comme Kiarostami, Fanhadi ou les Makmalbaf père et fille (car il y a des réalisatrices iraniennes, je suis sûre que vous n’avez pas oublié La Pomme et les Tableaux noirs, de Samira Makmalbaf).

JAFAR PANAHI est né à Téhéran en 1960, fils d’un peintre en bâtiment. Après des études au Collège du Cinéma, il tourne des courts métrages pour la Télévision. KIAROSTAMI remarque son travail, et l’engage en 1990 comme assistant pour le tournage d’au travers les oliviers.

En 1995 PANAHI tourne son premier long métrage, LE BALLON BLANC d’emblée Caméra d’Or au Festival de Cannes. Tous ses films suivants reçoivent le meilleur accueil aux Festivals de Berlin, Venise, Cannes, Locarno, en l’absence du cinéaste emprisonné « pour propagande contre le régime » et « non-respect de l’interdiction de tourner ». Ce sont ses filles ou sa nièce qui le représenteront.

En 2011 le réalisateur était en attente d’un jugement en appel contre une condamnation à 6 ans d’emprisonnement et 20 ans d’interdiction de tourner. Et il décide de réaliser chez lui sur son tapis « ceci n’est pas un film » une vidéo sur la difficulté d’être un cinéaste en Iran. Et cette vidéo a été envoyée au Festival de Cannes dans une clé USB dissimulée dans un gateau.

Grâce aux sélections attentives de votre CINEFESTIVAL et votre association TOILES-EMOI vous avez pu voir les excellents HORS JEU et sa courageuse adolescente footballeuse, TAXI-TEHERAN où PANAHI filme ses concitoyens dans une voiture en marche, TROIS VISAGES, avec sa caméra embarquée, et les deux équipes de tournages, l’officielle et la clandestine.

Actuellement PANAHI présente « un simple accident » dans les pays d’Europe et en Australie. Ceux d’entre vous qui ont regardé avant-hier soir « C’est dans l’Air » à la Télévision ont pu voir le réalisateur raconter avec une très jolie émotion comme il a été bouleversé de voir enfin un de ses films sur le grand écran du Festival de Cannes.

Et à cette émission il a été annoncé que la France présenterait aux Oscars 2026 « un simple accident », co-produit par Jafar Panahi et les films Pelléas société française, pour le prix du meilleur film étranger. Et Panahi lui-même a déclaré son intention de retourner tourner quelques soient les risques dans son pays natal l’Iran, qui est actuellement un des points cruciaux sur la terre…

Et dans ces temps où la démocratie est attaquée de toutes parts, on ne peut que dire à JAFAR PANAHI : Merci pour votre courage et votre talent.

 

The brutalist, de Brady Corbet

The brutalist, Brady Corbet

Je vous souhaite la bienvenue pour une soirée qui s’annonce tout à fait exceptionnelle, voire colossale. Tout d’abord quelques mots pour expliquer la programmation de ce film aujourd’hui. La municipalité ayant mis en place cette année une « semaine du patrimoine » sur le modèle de la semaine musicale, TEM a décidé de s’y associer. Et le thème retenu étant l’architecture, nous avons décidé d’en profiter pour programmer ce film que nous n’avions pas eu l’occasion de proposer lors de sa sortie au printemps.

En effet, son titre renvoie immédiatement à l’architecture, puisque le « brutalisme » est un mouvement architectural qui doit son nom à l’utilisation du béton brut, mais se caractérise aussi par ses formes épurées, répétitives et fonctionnelles, dans le prolongement des travaux de Le Corbusier. Ce style architectural bon marché a été très en vogue dans les années 50 à 70. Il a été employé pour de nombreux bâtiments lors de la reconstruction d el’après-guerre, notamment des universités, des bâtiments administratifs. Malheureusement l’utilisation d’un béton parfois de mauvaise qualité a eu pour conséquence que ces bâtiments ont souvent mal vieilli par la suite.

Le personnage principal du film est donc un Juif hongrois survivant de l’holocauste qui débarque aux USA après la guerre, il s’agit d’un personnage imaginaire, mais qui rappelle néanmoins beaucoup d’artistes du mouvement brutaliste. Pour jouer ce rôle , Adrian Brody raconte s’être servi de 2 expériences majeures : son rôle de de compositeur rescapé des camps dansLe Pianiste mais aussi le fait d’être lui-même le fils d’une réfugiée hongroise. Nous allons suivre le destin du personnage sur plus d’une 30aine d’années, de 1947 à 1980, dans un film d’une grande ampleur, qui nous rapellera l’expérience de ces grands films à entracte des années 70 comme Le Parrain, 2001 l’Odyssée de l’espace. Le film a demandé 7 ans de préparation à son réalisateur : recherches historiques et architecturales, quête de financements, repérages en Hongrie pour chercher des paysages susceptibles de passer pour ceux de la Pennsylvanie. Pourtant il a été tourné à Budapest en seulement 33 jours et avec un budget très limité et sur pellicule 35mm développée sur place. Le réalisateur a par ailleurs tenu à utiliser un format rare, le vistavision, format large qui demande une grande technicité.

Je vais maintenant vous laisser découvrir cette œuvre que vous me permettrez de qualifier de… monumentale !

Valeur sentimentale, de Joachim Trier

Pour présenter le film de ce soir, j’ai eu envie de vous raconter les tribulations cinématographiques de Joachim Trier :

Joachim Trier est né à Copenhague en 1974. Il a grandi dans une famille de cinéastes et est un parent lointain du réalisateur danois Lars Von Trier. Son grand-père Erik Løchen était réalisateur, son père ingénieur du son, et sa mère réalisait des documentaires. Adolescent Il a été champion international de skateboard pendant quelques années, et a ensuite réalisé des vidéos de skate.

A 23 ans, il intègre la National Film and Television School située au nord-ouest du grand Londres. C’est la seule école de cinéma britannique à avoir ses propres studios. Elle propose un enseignement croisé sur tous les domaines de la production à la fois cinématographique et télévisuelle.

Après l’obtention de son diplôme au début des années 2000, il réalise des clips publicitaires et des courts métrages en Angleterre et en Norvège.

Trois d’entre eux, Procter, Pietà et Still sont prisés dans les festivals internationaux.

En 2006, il réalise son premier long Nouvelle Donne, qui raconte l’amitié d’Erik et Phillip, 2 jeunes qui ambitionnent tous les deux d’être écrivain.

Il crée ensuite Oslo, 31 août, adaptation du roman Feu follet de Drieu La Rochelle qui fait partie de la sélection Un Certain Regard, du Festival de Cannes 2011. L’action se déroule à Oslo comme tous ces longs métrages. Le personnage principal, Anders, qui termine sa cure de désintoxication, se rend dans la capitale pour un entretien d’embauche et décide de profiter de l’occasion pour renouer avec sa famille et ses amis.

S’en suit Back Home en 2015 avec Isabelle Huppert, qui interprète un reporter de guerre. Initialement ce film s’appelait Louder Than Bombs « Plus fort que les bombes ». Le distributeur a voulu le rebaptiser suite aux attentats parisiens du 13 novembre 2015 . En réalité le titre Louder than bombs fait référence au titre de l’album du groupe The Smiths dont Joachim Trier est fan. Ce morceau figure d’ailleurs sur la bande son de Nouvelle donne.

En 2017, il présente Thelma qui traite de la névrose d’une adolescente et qui est à la frontière du film fantastique.

Plus récemment en 2022, il sort Julie en 12 chapitres, film qui vous a été présenté ici même. Le film raconte les tribulations professionnelles mais surtout sentimentales de Julie, jeune trentenaire norvégienne, assaillie de questions et de doutes.

Alors que l’actrice Renate Reinsve, qui interprète le rôle de Julie, était sur le point de renoncer à sa carrière, elle décroche le prix d’interprétation à Cannes.

Valeur sentimentale terminé 15 jours avant l’édition 2025 du Festival de Cannes remporte le Grand Prix du jury. Comme les précédents scenari, Il est co écrit avec Eskil Vogt, son ami de longue date avec lequel il a instauré une vraie discipline créative : dès 9h le matin ils s’installent tous les deux dans une pièce et se questionnent sur ce qu’ils veulent faire et commence ainsi la routine artistique : écriture, réécritures, casting, repérages, puis pré-production, tournage, montage et enfin mixage…

Dans ce dernier film, Joachim Trier souhaitait explorer la difficulté que l’on peut avoir à communiquer avec nos proches. Son passé marqué par la seconde guerre mondiale et sa récente paternité, le faisaient s’interroger sur ce que chaque génération successive livre de ses traumatismes à la génération suivante. La création artistique lui semble un moyen de transcender les difficultés nos communication.

Il choisit une maison de bois noir et rouge, noyée dans la verdure à Oslo pour incarner la maison de famille. Cette maison a presque un rôle à part entière puisqu’elle devient l’espace qui incarne la mémoire, le lieu de nos premiers souvenirs.

Pour l’évocation sonore, il propose au spectateur une bande son créée par la pianiste et compositrice Hania Rani, entendue dans Rosalie en 2024. De formation classique, Hania Rani s’inspire de la musique traditionnelle polonaise et islandaise mais aussi du jazz et de la musique électronique.

L’intrigue se noue autour de Gustav un cinéaste tombé dans l’oubli incarné par Stellan Skarsgård. Agnès, sa fille cadette est interprétée par Inga Ibsdotter Lilleaas et on retrouve dans le rôle de la fille aînée l’actrice emblématique de Joachim Trier, Renate Reinsve, qui comme lui a un passé de compétition sportive en natation et qui souvenez-vous voulait laisser tomber le rôle d’actrice.

Et maintenant je vous laisse découvrir Valeur sentimentale.

Doris Orlut

 

Confidente, de Çagla Zenzirci et Guillaume Giovanetti

Confidente, de Çagla Zenzirci et Guillaume Giovanetti

Le duo qui a réalisé le film que nous allons voir est aussi un couple à la ville. Elle est née à Ankara et lui à Lyon. Ils se sont rencontrés en 2002. Ils ont beaucoup voyagé ensemble et réalisé à cette occasion plusieurs courts métrages documentaires, sélectionnés dans des festivals internationaux. Puis ils sont passés progressivement du documentaire à la fiction, et ce film est leur 4ème long métrage.

Le précédent avait déjà été sélectionné par notre association. Il avait déjà une femme pour personnage principal mais c’était une femme qui vivait en pleine nature, alors que Confidente est un huis-clos, centré sur une femme qui parle beaucoup alors que le personnage du film précédent était muette. Si je vous dis que ce personnage utilisait un langage sifflé pour communiquer, peut-être retrouverez-vous le titre de ce film ? Il s’agissait de SIBEL.

Ils revendiquent cette grande diversité dans leur cinéma par la volonté d’explorer des univers différents. D’ailleurs, chacun de leur film explore un genre différent (road movie, film fantastique, western, thriller psychologique)

Confidente peut rappeler The Guilty, ce film danois ayant fait l’objet d’un remake aux USA, où l’on assistait à une conversation téléphonique entre un policier et une femme kidnappée. Il s’agit en effet là aussi d’un huis-clos en temps réel qui repose beaucoup sur le jeu de l’actrice principale, pour qui le scénario a été écrit. Pour autant, le film ne manque pas de péripéties et de rebondissements et permet aux réalisateurs d’exprimer un point de vue sur la condition féminine en Turquie, les violences sociales, la corruption de l’état…

Le point de départ de Confidente, c’est le tremblement de terre qui a frappé la Turquie en 2023. « Nous en avons suivi les conséquences sur internet et à la télévision, et en en parlant entre nous, on s’est rendu compte qu’elles étaient extrêmement similaires à celles de celui qui avait eu lieu en 1999, comme si, en fait, rien n’avait changé : les gens vivaient exactement la même chose. On a donc décidé de nous pencher sur cette question. Ensuite, les téléphones roses, qui faisaient fureur en Turquie à la fin des années 90 sont arrivés dans l’histoire, car ils nous permettaient de créer de la fiction sans avoir recours aux images d’archives. Ils nous ont donné la liberté de pour pouvoir traiter du  tremblement de terre sans faire revivre le trauma aux personnes qui l’ont vécu. » En effet Le métier qu’exerce le personnage principal du film (opératrice dans un call center érotique) a connu une grosse explosion en Turquie dans les années 1990, époque à laquelle se déroule l’histoire de Confidente avec le développement des hotlines dans le pays. L’actrice a d’ailleurs rencontré des femmes travaillant dans ce milieu pour donner de la véracité à son personnage.

Le film a été tourné non pas en studio mais dans une maison appartenant à la mère de la réalisatrice, qui a fini par tenir un petit rôle dans le film, ainsi que d’autres membres de la famille.

Enfin, écoutez bien le moeceau final du film, il s’agit d’une chanson de Clara Ysé intitulée Douce qui fait écho au propos des 2 cinéastes.

 

L’épreuve du feu, d’Aurélien Peyre

 

L’épreuve du Feu – Aurélien PEYRE – le 4 septembre 2025

-Pres Marion Magnard

Aurélien PEYRE est né le 1er janvier 1992 à Paris et passe toutes ses vacances d’été dans l’île de Bréhat où sa grand-mère possède une petite maison de pêcheur. Et chaque année il retrouve la même bande de jeunes, les élégants enfants des riches parisiens séduits par le charme bréhatin.

Assistant metteur en scène, Aurélien, avec sa sensibilité très affutée, était donc aux premières loges pour observer la sociologie des groupes de jeunes en fin d’adolescence…En 2016, déjà, un court métrage, « la Bande à Juliette » au Festival de Brive, avait attiré l’attention sur les rapports de force dans les groupes, et en 2018, au festival Nouvelle Vague de Biarritz, « Coqueluche », tourné à Bréhat, étudiait comment s’affranchir du regard des autres et des castes sociales.

Cinq ans après, Aurélien décide de reprendre Coqueluche, en le densifiant, pour son premier long métrage qui sera tourné dans l’ile de Noirmoutier. Pourquoi pas à Bréhat, comme Coqueluche ? La réponse est toute simple : les voitures étant interdites à Bréhat, on pouvait transporter du matériel léger en tirant une petite carriole sur les quai du port et sur les chemins de terre pour un moyen métrage mais pour un long, il fallait d’autres moyens.

Dans « l’épreuve du feu », pour Hugo, le personnage principal, c’est le moment du choix entre son désir, l’homme qu’il veut être, et l’indispensable appartenance au groupe ou au réseau., objectifs qui s’avérent très difficilement conciliables…

Et Aurélien tient à ce que ses personnages évoluent dans une île, isolés de leur monde habituel, dans la parenthèse temporelle des vacances.

Révélé dans « Eté 85 » de François Ozon en 2020, Frédéric LEFEBVRE est un Hugo sensible et rageur. Kamil, le vrai ami, ni bréhatin ni parisien, est ioué par le charmant Nolan MASRAF. Quant à l’incroyable Anja VERDEROSA, elle a été découverte par Bruno Levy le producteur, dans un casting sauvage sur les réseaux sociaux. Et dans son rôle de Queen, c’est « un diamant brut de vitalité et de sentimentalité », au milieu des gosses de riches moitié fascinés, moitié méprisants.

Le réalisateur a réuni tous les jeunes acteurs à Noirmoutier un mois avant le tournage, ils se sont bien entendus et c’est donc tout naturellement qu’ils donnent l’impression d’une sorte de colonie de vacances. Aurélien a longuement discuté avec chacun, mais leur a laissé ensuite la plus grande liberté…

La bande-son est l’œuvre de Maud Geffray, compositrice de musique électronique française et DJ.

Sorti le 13 août 2025, le film a été très chaleureusement accueilli par le Public et les critiques saluent « sa mise en scène pudique et d’une grande justesse ». Et si l’un d’eux dans le masque et la Plume reproche à Aurélien d’avoir trop fait poser le regard d’Hugo sur Queen, je vous dirais ce que le réalisateur a glissé dans une interview : « l’épreuve du feu, c’est un petit peu autobiographique… ».

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Eddington, de Ari Aster

 

EDDINGTON, de ARI ASTER – 21 aout 2025 – Pr. Marion Magnard

Ari ASTER est né en 1986 à New York, d’un père musicien et d’une mère poète.

Il a 7 ans lorsque ses parents quittent New York et s’installent au Nouveau Mexique, un des « four Corners », les 4 états du Sud-Ouest des USA. Bien qu’ayant baigné dans la musique et la poésie dès sa naissance, Ari est subjugué par les films d’horreur qu’il dévore dans toutes les vidéothèques. Et pour lui, la famille est le lieu de toutes les ignominies… son premier court métrage lorsqu’il étudie le cinéma à l’Université de Santa Fé, capitale du Nouveau Mexique, aura pour thème un père abusé par son propre fils… 

Revenu à New York, li est la star du Studio de Production indépendant A24, qui produit ses 3 premiers films : Hérédité en 2018, Midsommar en 2019 , Beau is afraid, en 2023, déjà avec Joachin Phoenix, 3 thrillers sur les deuils, les atavismes familiaux et les traumatismes héréditaires.

Alléché par ce ton nouveau, le Festival de Cannes 2025 sélectionne pour la compétition officielle EDDINGTON, son 4ème film.

EDDINGTON est un autre Thriller, tout à la fois politique et policier. C’est un nouveau-western, cynique et particulièrement violent.

La Bande-son, collaboration entre le cinéaste et les musiciens Krlic et Pemberton est anxiogène avec sa basse profonde de film noir.

Le casting mélange des étoiles montantes et des comédiens oscarisés comme Joachim Phoenix, omniprésent, Pédro Pascal et Emma Stone.

Les critiques sont diversifiées, on peut lire :

– Portrait d’un monde aussi inquiétant que réaliste

– Un film en gros sabots sur l’Amérique trumpiste actuelle

– Satire d’une Amérique divisée et au bord de l’explosion.

Mais je préfère vous faire écouter Ari ASTER lui-même :

« J’ai aimé donner à ce film le cadre d’un western, paysage qui reflète ce que l’Amérique est devenue, un farwest fracturé où les individus enfermés dans la vérité de leur smartphone sont des radicaux libres qui se percutent en vase clos…Mais je refuse de croire mes compatriotes programmés pour la Haine. »

Et maintenant c’est à vous de découvrir Eddington !

The Phoenician scheme, de Wes Anderson

Deux ans après Asteroid City, Wes Anderson propose une nouvelle plongée dans les années 1950 avec The Phoenician scheme.

Cet américain de 56 ans d’origine scandinave nait à Houston au Texas d’une mère archéologue et d’un père dans les relations publiques. Jeune homme, il choisit de suivre des études de philosophie et tourne en parallèle des courts métrages en super 8. Il apprend donc par la pratique sans suivre de véritables études de cinéma. Dans son université à Houston, il rencontre Owen Wilson et Bill Murray dans un cours d’écriture de scénario.

Le réalisateur autodidacte débute alors dans le cinéma d’auteur indépendant en 1993 par un court-métrage en noir et blanc Bottle Rocket, une comédie policière qui raconte les aventures de trois jeunes Texans désœuvrés qui commettent un braquage sans avoir l’envergure de criminels professionnels.

Le cinéma de Wes Anderson a une facture très caractéristique et a fait l’objet d’une récente exposition à la cinémathèque de Paris. Son univers esthétique et sophistiqué inspire tellement d’artistes et de photographes qu’un compte Instagram intitulé Accidentally Wes Anderson a été créé en 2017 pour réunir des clichés évoquant l’esthétique de ses films et a donné lieu en 2020 à la publication d’un livre préfacé par Wes Anderson lui-même.

On peut dire que son cinéma se situe au carrefour de la comédie dramatique, du film d’aventures et du conte surréaliste . Il se caractérise par le goût de l’artisanat avec l’utilisation de miniatures et de maquettes ainsi que d’objets sophistiqués ; le goût des tableaux vivants et des scènes colorées filmées en pellicule 35 mm avec des plans frontaux ou verticaux fixes ou balayés en travelling latéral et l’omniprésence de la musique.

L’objectif dans The Phoenician scheme est d’inventer une histoire proche des grandes figures de l’industrie européenne comme Calouste Gulbenkian, Onassis ou Niárchos, armateur grec connu pour avoir lancé le premier super pétrolier ou encore Árpád Plesch, banquier et avocat hongrois, propriétaire d’une célèbre collection de livres rares de botanique et de dessins précieux de pornographie ésotérique qui fut le mentor de la première fortune d’Italie le patron de Fiat, Gianni Agnelli.

Ainsi le personnage du prince Farouk, interprété par Riz Ahmed est inspiré de Calouste Gulbenkian homme d’affaires, mécène et grand collectionneur arménien. Cet industriel a eu un rôle central dans le partage des richesses pétrolières du Moyen-Orient entre les grandes puissances britanniques françaises et américaines et dans la structuration de l’industrie pétrolière au Moyen-Orient. En 1920 , il avait judicieusement négocié une part de 5% des champs de pétrole qui venaient d’être découverts en Irak et en retira un revenu de plusieurs millions de dollars, d’où son surnom de Monsieur 5%. Il amassa une des fortunes les plus colossales de son temps et constitua une des premières collections d’art mondiales qu’il légua à une fondation portugaise, la fondation Calouste-Gulbenkian située à Lisbonne .

Wes Anderson explique que l’intrigue se nourrit je cite « des enjeux politiques de la région, de ses multiples territoires, de ses fiefs ».

Les personnages sont nombreux et hauts en couleur comme Marseille Bob, joué par Mathieu Amalric qui s’inspire de films comme Bob le flambeur de Jean-Pierre Melville ou de Touchez pas au grisbi de Jacques Becker. Wes Anderson précise qu’ils sont aussi en partie inspirés par des figures issues du cercle de Fouad Malouf, son beau-père homme d’affaires libanais à qui il dédie le film.

L’essentiel du film a été tourné en intérieur dans les plus anciens studios de cinéma du monde fondés en 1912, et situés dans le quartier de Babelsberg à Potsdam dans la banlieue sud-ouest de Berlin. C’est dans ses mêmes studios qu’il avait filmé les maquettes miniatures pour The grand Budapest hôtel. Le bâtiment qui accueille la création de costumes et de décors a depuis cette année été rebaptisé Bâtiment Wes Anderson.

Les 3 acteurs principaux Benicio Del Toro, Mia Threapleton et Michael Cera y ont retrouvé Wes Anderson pour deux semaines de répétitions avant le début du tournage, tournage qui a duré 3 mois pendant lesquels la complicité entre techniciens, comédiens et figurants a pu s’installer au cours des dîners collectifs traditionnels organisés par Wes Anderson.

Pour l’anecdote un Renoir issu de la collection Nahmad ayant autrefois appartenu à Greta Garbo, un Magritte provenant de la collection Pietzsch, et plusieurs tableaux prêtés par la Hamburger Kunsthalle participent au décor ce qui a imposé la présence de gardiens sur le plateau.

La costumière Milena Canonero, multi oscarisée, a conçu les costumes. À partir de recherches sur la période où se déroule le film, mais aussi de photographies de peintures ou d’autres films. Elle a défini le style de chaque personnage avant de les présenter aux acteurs.

Les effets spéciaux ont été réalisés de manière artisanale comme pour la libellule qui se pose sur l’avion de Zsa-Zsa et qui en réalité est une marionnette. Le ciel et les nuages qu’on aperçoit par le hublot, sont faits en toile peinte et en boules de coton.

Enfin, la bande-originale réunit des morceaux des jazzmen légendaires, Glenn Miller et Gene Krupa, dont la batterie a inspiré la percussion qui traverse toute la bande-son.

Au-delà des références cinématographiques et historiques, Wes Anderson confie qu’il a souhaité explorer le rapprochement entre un père et sa fille. Je vous laisse maintenant découvrir The Phoenician scheme.

Doris Orlut

L’accident de piano, de Quentin Dupieux

L’ACCIDENT DE PIANO, de Quentin DUPIEUX – 31 juillet 2025 – Marion Magnard

 

Fils d’un garagiste parisien ami de Coluche, Quentin Dupieux tout gamin accompagne sur les plateaux l’ami de son père, il sera même figurant dans un de ses films, et demeurera littéralement « habité » par le cinéma. Dès l’âge de 12 ans, il s’amuse à faire toutes sortes d’expériences avec une caméra. Il apprendra ensuite les techniques du cinéma pendant son service militaire avec l’équipement haut de gamme de l’Ecole Polytechnique. Il ne fera pas d’école de cinéma et son professeur sera son ami le cinéaste Michel Gondry.

Et connaissant tout du cinéma, de la production au montage, il est à ce jour l’éclairagiste, le script, le scénariste, le cadreur, le musicien, de 19 films en 24 ans.

Vous avez selon vos goûts plus ou moins aimé chacun de ses 13 premiers films les plus connus, de l’irrésistible « au Poste » avec Denis Podalydes en 2018, au « Le 2ème acte » en ouverture du festival de CANNES 2024, en passant par « Daaaali ! » avec 5 acteurs dans le rôle-titre. Et vous allez découvrir maintenant son dernier film, avec en vedette Adèle Exarchopoulos, découverte dans « la vie d’Adèle » d’Abderatif KECHICHE en 2013.

Je me demande comment vous allez accueillir Adèle dans son 3ème film avec Quentin Dupieux, 5 ans après son rôle de gentille crétine dans « Mandibules » et 3 ans après avoir joué Céline assassinée à coups d’outils de jardinage dans « Fumer fait tousser » sans doute l’un des plus délirants des films Dupieusiens, et ce soir en Magalie, dite Mégaloche, la Youtubeuse qui ne connait pas la douleur, dans une ambiance particulièrement pesante et accentuée par la bande-son.

Jusqu’à présent Quentin DUPIEUX réservait volontiers à ses actrices des rôles de débiles mais cette fois Adèle, transformée après des heures de maquillage et diverses prothèses, est le personnage central. Les 3 acteurs, Adèle, Sandrine Kiberlain la journaliste et l’assistant faire valoir Jérôme Commandeur sont tous trois excellents, et disent avoir beaucoup aimé leurs rôles hors de leur zone de confort et d’être dirigés par ce réalisateur précis et cash !

Adèle-Magalie est-elle dans « l’accident de piano », ce film drôle et méchant, le porte-parole d’un nouveau Quentin Dupieux, éprouvant un véritable mal-être, voire de la haine, devant ce qu’est devenue notre civilisation à l’ère des réseaux sociaux ? A nous de voir…

Marion Magnard