Archives de catégorie : Les fiches de présentation des films

Les fiches de présentations rédigées par les bénévoles et présentées avant les séances « Toiles Émoi ».

Deux pianos, d’Arnaud Desplechin

Depuis ses débuts dans les années 1990, Arnaud Desplechin formé, à la réalisation et à la prise de vues, mêle à chacune de ses œuvres cinématographiques introspection intellectuelle et sentimentale. Il explore les thématiques de la mémoire, de l’identité et la complexité des relations humaines.

Deux pianos est un drame romanesque coécrit avec Kamen Velkovsky et les conseils de la romancière Anne Berest. Le film imbrique les destins croisés de personnages mêlant deux histoires, celle d’une transmission et celle d’un amour impossible.

Au départ, le film s’appelait An affair to remember en référence à Love affair le film de Leo McCarey sorti en 1957 avec Cary Grant et Deborrah Kerr qui racontait l’histoire d’un playboy et d’une chanteuse de cabaret qui tombaient éperdument amoureux lors d’une traversée à bord d’un paquebot. Ils décidaient de se retrouver 6 mois plus tard après avoir mis de l’ordre dans leur vie amoureuse. Mais la traduction française qui signifie adultère, était trop réductrice. C’est pourquoi Arnaud Desplechin a choisi de le renommer Deux pianos comme pour illustrer l’histoire du couple et l’histoire des deux musiciens.

Le film est tourné caméra à l’épaule et se passe à l’automne à Lyon dans un décor baigné de couleurs ocres. Vous y reconnaitrez sans doute l’Auditorium avec l’entrée des artistes, le bar du Passage et le parc de la tête d’or.

François Civil, ancré dans un jeu plus introspectif qu’à l’ordinaire y incarne Mathias, un personnage qui mêle charme et talent mais aussi arrogance et autodestruction. François Civil s’est longuement préparé au rôle avec Grégoire Hetzel, le compositeur de la bande originale du film et un coach pour je cite « apprendre à respirer la musique, faire passer le tumulte intérieur par la main et le regard. ». C’est lui qui joue notamment le morceau de Bach à la fin du film Ich ruf zu dir. Il a d’ailleurs découvert récemment que son arrière-grand-mère maternelle improvisait au piano pour accompagner les films muets.

À son retour du Japon, il découvre Claude, Nadia Tereszkiewicz, son amour de jeunesse mère d’un jeune garçon qui lui ressemble étrangement. Arnaud Desplechin aime à dire qu’il s’est inspiré des deux héroïnes du roman de Stendhal, le Rouge et le Noir pour créer le personnage de Claude.

En arrière-plan, Charlotte Rampling joue Elena, sa magnétique mentore et Hippolyte Girardot interprète Max son agent fantasque.

Arnaud Desplechin a volontairement repoussé la demande de lecture collective du scénario pour préserver la part de mystère de chaque acteur.

Doris Orlut

Une bataille après l’autre, de Paul Thomas Anderson

UNE BATAILLE APRES L’AUTRE – Paul Thomas ANDERSON – 6 nov. 2025

Pres. Marion Magnard

Paul Thomas ANDERSON, surnommé PTA pour les Français, est né en 1970 à Los Angeles, au cœur du cinéma américain. Son père, acteur, lui donne une caméra dès l’âge de 12 ans. PTA, encouragé par ce père et nourri de films, s’exerce à tourner toutes sortes de courts métrages, sachant parfaitement situer sa caméra pour obtenir le meilleur résultat émotionnel. Il a déjà choisi ses maîtres : Kubrick, Scorcese et Tarentino. On pourrait rajouter à sa liste Sydney Lumet et les frères Cohen quand on aura vu le film de ce soir.

Il débute comme assistant de production et animateur à la Télévision, puis son père l’inscrit à la section cinéma de l’Université New-yorkaise. Il est très vite renvoyé pour n’avoir pas payé ses droits d’inscription. Il a en effet préféré utiliser les sous pour tourner un court métrage, « Cigarettes and Coffee », qui le fait connaitre au Festival Sundance. Et c’est le début d’une carrière remarquable et très personnelle, avec des ruptures de tons, des silences, des tournures énigmatiques, des dialogues hilarants, dans des films comme Magnolia, They will be blood, Punch drunk love, très souvent nommés aux Oscars….

En 1997, il propose à Leonardo Di Caprio, de 4 ans son cadet, le rôle principal (celui d’un acteur porno) dans « Boogie Nights ». Di Caprio est très tenté. Il aime les films que tourne Anderson, mais voilà que James Cameron lui offre au même moment de tenir la vedette du Titanic. Et Anderson ne lui a pas tenu rigueur d’avoir préféré embarquer à bord du célèbre paquebot dans ce film iconique et…meilleur pour son plan de carrière.

ET 28 ans plus tard Di Caprio et Anderson se retrouvent, avec Sean Penn et l’apparition prometteuse de la jeune Chase Infiniti, dans « une bataille après l’autre », adaptation très libre de « Vineland », roman culte de Thomas Pynchon. Et là, nous sommes au sommet du cinéma américain, dans une production Warner à 130 millions de dollars…qui démarre trés fort.

« Une bataille après l’autre », comme « Eddington » de Ari Aster que je vous ai présenté récemment, c’est un tableau angoissant des Etats Unis bipolarisés, du grand cinéma politique, jugé, suivant les éditorialistes américains soit « cri de ralliement » soit « apologie du terrorisme », mais aussi comédie désopilante, avec des trouvailles incroyables, des poursuites vrombissantes dans les montagnes, un festin visuel saturé de chansons et de la musique originale de Joony Greenwood, compositeur de plusieurs films d’Anderson.

Des amis qui ont déjà vu « Une bataille » me demandent de vous avertir : Le film ouvre sur un champ/ contre-champ brutal et se poursuit en une séquence que le critique du Nouvel-Obs qualifie de  « galipettes semi-contraintes» … Eh oui, PTA aime marier les genres, sexe et burlesque, politique et déglingue, block-buster et Art et Essai. Bienvenue dans le monde de PTA !

Les Tourmentés, de Lucas Belvaux

Lucas Belvaux a passé les premières années de sa vie à la campagne dans la province de Namur dans l’internat dirigé par son père et où sa mère était institutrice.  A l’âge où les lycéens préparent leur bac, il s’affranchit de la cellule familiale et part seul à Paris en auto-stop pour devenir comédien.

Après quelque mois de cours de théâtre, il tourne dans un téléfilm, puis décroche son premier rôle au cinéma dans Allons’z’enfants, le plaidoyer anti-militariste d’Yves Boisset. Il tourne ensuite avec des cinéastes de la Nouvelle vague, Claude Chabrol dans Poulet au vinaigre et Jacques Rivette dans Hurlevent.

10 ans plus tard, au début des années 90, il passe derrière la caméra. Il prend alors l’habitude d’écrire seul les scénarios de ses films, qui traitent souvent de questions sociales et philosophiques.

Puis récemment, lassé par l’écriture scénaristique trop contrainte selon lui par les problématiques de temps et de budget, il souhaite retrouver le plaisir d’écrire en toute liberté et il publie son premier roman Les tourmentés. Cette activité solitaire tombe bien, puisque l’on est en plein confinement. Au départ, Il veut faire un roman noir sur une chasse à l’homme avec des personnages déshumanisés, marqués par la souffrance et les traumatismes, mais, progressivement, au fil de l’écriture, il se désintéresse de l’action proprement dite, et s’interroge sur comment les personnages en sont arrivés là. Il transforme ainsi le roman noir en un roman d’apprentissage pour adultes.

Dès l’écriture terminée, comme il ne veut pas vendre les droits d’auteur, il adapte son propre roman en film. La transformation du livre construit à partir d’une suite de monologues intérieurs le met au défi. Il n’a de cesse de trouver le bon rythme, la bonne tension pour que le spectateur ne s’ennuie pas.

Lucas Belvaux a comme référence l’œuvre fondatrice du cinéma d’horreur, Les chasses du comte Zaroff, film de 1932 adapté de la nouvelle de Richard Connell, The Most Dangerous Game qui raconte l’histoire d’un célèbre chasseur qui s’échoue sur l’île d’un ancien membre de l’armée du tsar, le général Zaroff, qui organise des parties de chasse à l’homme en traquant les naufragés qu’il trouve. Petite digression amusante dans l’histoire du cinéma c’est que Les chasses du comte Zaroff, œuvre réalisée par Ernest B. Schoedsack et Merian C. Cooper, s’est vue contrainte par la société de production de réduire drastiquement son budget et sa durée de tournage. Ceci a forcé les réalisateurs à économiser par tous les moyens et à faire preuve d’inventivité en jouant avec le montage, les effets visuels et la mise en scène. La réduction des coûts a certainement été infernale pour eux, mais la courte durée, le rythme et l’ingéniosité qui en résultent font que leur film est aujourd’hui toujours aussi prenant et efficace. Ils l’ont tourné en même temps que King Kong, dans les mêmes décors et avec la même actrice, Fay Wray pour interpréter le premier rôle : King Kong le jour et Les Chasses du comte Zaroff la nuit.

Dans Les tourmentés les scènes de forêts ont été tournées en Isère dans le Parc naturel de la Chartreuse et dans la montagne ardéchoise. Le froid, la pluie et le brouillard ont certes perturbé le tournage mais les scènes de montagne sous la pluie ont permis de créer un univers particulier.

Pour la composition musicale, Lucas Belvaux a transmis à Frédéric Vercheval un extrait de Casse-Noisette arrangé pour un quintet de cors.

Côté casting il a choisi l’actrice, Linh-Dan Pham pour son côté mystérieux et sa capacité à passer rapidement de la légèreté à une profonde introspection. Il a voulu que « Madame », c’est ainsi qu’elle est nommée tout au long du film, soit à la fois dominatrice et bienveillante. Ramzy Bedia, plus connu dans ses spectacles comiques avec Eric Judor, incarne Max le majordome en personnage tragique et opaque. Niels Schneider est Skender, un personnage très seul et hanté par la violence, qui crée la tension nécessaire au film. Enfin pour le rôle de Manon, Lucas Belvaux a choisi Déborah François pour son jeu épuré sans sur-intellectualisation caractéristique, selon lui, des comédiens belges.

Je vous laisse apprécier !

Doris ORLUT

Un simple accident, de Jafar Panahi

UN SIMPLE ACCIDENT, de Jafar PANAHI – 25 /9/2025- Pr Marion Magnard

C’est clandestinement que Jafar PANAHI, réalisateur et producteur iranien, a tourné « Un simple accident », palme d’or du Festival de Cannes 2025. Et vous allez le voir en avant- première puisqu’il sort officiellement le 1er octobre.

Dès le début du 20ème siècle, sous l’impulsion du shah MOZZAFFAREDIN, qui avait découvert le cinématographe lors d’une cure à Contrexéville, l’industrie du Cinéma s’est développée rapidement avec essentiellement des films populaires.

Avec la révolution islamique, le cinéma devient un instrument du pouvoir. Mais en même temps que notre nouvelle vague, un mouvement différent dit Motafavet fait émerger des cinéastes novateurs comme Kiarostami, Fanhadi ou les Makmalbaf père et fille (car il y a des réalisatrices iraniennes, je suis sûre que vous n’avez pas oublié La Pomme et les Tableaux noirs, de Samira Makmalbaf).

JAFAR PANAHI est né à Téhéran en 1960, fils d’un peintre en bâtiment. Après des études au Collège du Cinéma, il tourne des courts métrages pour la Télévision. KIAROSTAMI remarque son travail, et l’engage en 1990 comme assistant pour le tournage d’au travers les oliviers.

En 1995 PANAHI tourne son premier long métrage, LE BALLON BLANC d’emblée Caméra d’Or au Festival de Cannes. Tous ses films suivants reçoivent le meilleur accueil aux Festivals de Berlin, Venise, Cannes, Locarno, en l’absence du cinéaste emprisonné « pour propagande contre le régime » et « non-respect de l’interdiction de tourner ». Ce sont ses filles ou sa nièce qui le représenteront.

En 2011 le réalisateur était en attente d’un jugement en appel contre une condamnation à 6 ans d’emprisonnement et 20 ans d’interdiction de tourner. Et il décide de réaliser chez lui sur son tapis « ceci n’est pas un film » une vidéo sur la difficulté d’être un cinéaste en Iran. Et cette vidéo a été envoyée au Festival de Cannes dans une clé USB dissimulée dans un gateau.

Grâce aux sélections attentives de votre CINEFESTIVAL et votre association TOILES-EMOI vous avez pu voir les excellents HORS JEU et sa courageuse adolescente footballeuse, TAXI-TEHERAN où PANAHI filme ses concitoyens dans une voiture en marche, TROIS VISAGES, avec sa caméra embarquée, et les deux équipes de tournages, l’officielle et la clandestine.

Actuellement PANAHI présente « un simple accident » dans les pays d’Europe et en Australie. Ceux d’entre vous qui ont regardé avant-hier soir « C’est dans l’Air » à la Télévision ont pu voir le réalisateur raconter avec une très jolie émotion comme il a été bouleversé de voir enfin un de ses films sur le grand écran du Festival de Cannes.

Et à cette émission il a été annoncé que la France présenterait aux Oscars 2026 « un simple accident », co-produit par Jafar Panahi et les films Pelléas société française, pour le prix du meilleur film étranger. Et Panahi lui-même a déclaré son intention de retourner tourner quelques soient les risques dans son pays natal l’Iran, qui est actuellement un des points cruciaux sur la terre…

Et dans ces temps où la démocratie est attaquée de toutes parts, on ne peut que dire à JAFAR PANAHI : Merci pour votre courage et votre talent.

 

The brutalist, de Brady Corbet

The brutalist, Brady Corbet

Je vous souhaite la bienvenue pour une soirée qui s’annonce tout à fait exceptionnelle, voire colossale. Tout d’abord quelques mots pour expliquer la programmation de ce film aujourd’hui. La municipalité ayant mis en place cette année une « semaine du patrimoine » sur le modèle de la semaine musicale, TEM a décidé de s’y associer. Et le thème retenu étant l’architecture, nous avons décidé d’en profiter pour programmer ce film que nous n’avions pas eu l’occasion de proposer lors de sa sortie au printemps.

En effet, son titre renvoie immédiatement à l’architecture, puisque le « brutalisme » est un mouvement architectural qui doit son nom à l’utilisation du béton brut, mais se caractérise aussi par ses formes épurées, répétitives et fonctionnelles, dans le prolongement des travaux de Le Corbusier. Ce style architectural bon marché a été très en vogue dans les années 50 à 70. Il a été employé pour de nombreux bâtiments lors de la reconstruction d el’après-guerre, notamment des universités, des bâtiments administratifs. Malheureusement l’utilisation d’un béton parfois de mauvaise qualité a eu pour conséquence que ces bâtiments ont souvent mal vieilli par la suite.

Le personnage principal du film est donc un Juif hongrois survivant de l’holocauste qui débarque aux USA après la guerre, il s’agit d’un personnage imaginaire, mais qui rappelle néanmoins beaucoup d’artistes du mouvement brutaliste. Pour jouer ce rôle , Adrian Brody raconte s’être servi de 2 expériences majeures : son rôle de de compositeur rescapé des camps dansLe Pianiste mais aussi le fait d’être lui-même le fils d’une réfugiée hongroise. Nous allons suivre le destin du personnage sur plus d’une 30aine d’années, de 1947 à 1980, dans un film d’une grande ampleur, qui nous rapellera l’expérience de ces grands films à entracte des années 70 comme Le Parrain, 2001 l’Odyssée de l’espace. Le film a demandé 7 ans de préparation à son réalisateur : recherches historiques et architecturales, quête de financements, repérages en Hongrie pour chercher des paysages susceptibles de passer pour ceux de la Pennsylvanie. Pourtant il a été tourné à Budapest en seulement 33 jours et avec un budget très limité et sur pellicule 35mm développée sur place. Le réalisateur a par ailleurs tenu à utiliser un format rare, le vistavision, format large qui demande une grande technicité.

Je vais maintenant vous laisser découvrir cette œuvre que vous me permettrez de qualifier de… monumentale !

Valeur sentimentale, de Joachim Trier

Pour présenter le film de ce soir, j’ai eu envie de vous raconter les tribulations cinématographiques de Joachim Trier :

Joachim Trier est né à Copenhague en 1974. Il a grandi dans une famille de cinéastes et est un parent lointain du réalisateur danois Lars Von Trier. Son grand-père Erik Løchen était réalisateur, son père ingénieur du son, et sa mère réalisait des documentaires. Adolescent Il a été champion international de skateboard pendant quelques années, et a ensuite réalisé des vidéos de skate.

A 23 ans, il intègre la National Film and Television School située au nord-ouest du grand Londres. C’est la seule école de cinéma britannique à avoir ses propres studios. Elle propose un enseignement croisé sur tous les domaines de la production à la fois cinématographique et télévisuelle.

Après l’obtention de son diplôme au début des années 2000, il réalise des clips publicitaires et des courts métrages en Angleterre et en Norvège.

Trois d’entre eux, Procter, Pietà et Still sont prisés dans les festivals internationaux.

En 2006, il réalise son premier long Nouvelle Donne, qui raconte l’amitié d’Erik et Phillip, 2 jeunes qui ambitionnent tous les deux d’être écrivain.

Il crée ensuite Oslo, 31 août, adaptation du roman Feu follet de Drieu La Rochelle qui fait partie de la sélection Un Certain Regard, du Festival de Cannes 2011. L’action se déroule à Oslo comme tous ces longs métrages. Le personnage principal, Anders, qui termine sa cure de désintoxication, se rend dans la capitale pour un entretien d’embauche et décide de profiter de l’occasion pour renouer avec sa famille et ses amis.

S’en suit Back Home en 2015 avec Isabelle Huppert, qui interprète un reporter de guerre. Initialement ce film s’appelait Louder Than Bombs « Plus fort que les bombes ». Le distributeur a voulu le rebaptiser suite aux attentats parisiens du 13 novembre 2015 . En réalité le titre Louder than bombs fait référence au titre de l’album du groupe The Smiths dont Joachim Trier est fan. Ce morceau figure d’ailleurs sur la bande son de Nouvelle donne.

En 2017, il présente Thelma qui traite de la névrose d’une adolescente et qui est à la frontière du film fantastique.

Plus récemment en 2022, il sort Julie en 12 chapitres, film qui vous a été présenté ici même. Le film raconte les tribulations professionnelles mais surtout sentimentales de Julie, jeune trentenaire norvégienne, assaillie de questions et de doutes.

Alors que l’actrice Renate Reinsve, qui interprète le rôle de Julie, était sur le point de renoncer à sa carrière, elle décroche le prix d’interprétation à Cannes.

Valeur sentimentale terminé 15 jours avant l’édition 2025 du Festival de Cannes remporte le Grand Prix du jury. Comme les précédents scenari, Il est co écrit avec Eskil Vogt, son ami de longue date avec lequel il a instauré une vraie discipline créative : dès 9h le matin ils s’installent tous les deux dans une pièce et se questionnent sur ce qu’ils veulent faire et commence ainsi la routine artistique : écriture, réécritures, casting, repérages, puis pré-production, tournage, montage et enfin mixage…

Dans ce dernier film, Joachim Trier souhaitait explorer la difficulté que l’on peut avoir à communiquer avec nos proches. Son passé marqué par la seconde guerre mondiale et sa récente paternité, le faisaient s’interroger sur ce que chaque génération successive livre de ses traumatismes à la génération suivante. La création artistique lui semble un moyen de transcender les difficultés nos communication.

Il choisit une maison de bois noir et rouge, noyée dans la verdure à Oslo pour incarner la maison de famille. Cette maison a presque un rôle à part entière puisqu’elle devient l’espace qui incarne la mémoire, le lieu de nos premiers souvenirs.

Pour l’évocation sonore, il propose au spectateur une bande son créée par la pianiste et compositrice Hania Rani, entendue dans Rosalie en 2024. De formation classique, Hania Rani s’inspire de la musique traditionnelle polonaise et islandaise mais aussi du jazz et de la musique électronique.

L’intrigue se noue autour de Gustav un cinéaste tombé dans l’oubli incarné par Stellan Skarsgård. Agnès, sa fille cadette est interprétée par Inga Ibsdotter Lilleaas et on retrouve dans le rôle de la fille aînée l’actrice emblématique de Joachim Trier, Renate Reinsve, qui comme lui a un passé de compétition sportive en natation et qui souvenez-vous voulait laisser tomber le rôle d’actrice.

Et maintenant je vous laisse découvrir Valeur sentimentale.

Doris Orlut

 

Confidente, de Çagla Zenzirci et Guillaume Giovanetti

Confidente, de Çagla Zenzirci et Guillaume Giovanetti

Le duo qui a réalisé le film que nous allons voir est aussi un couple à la ville. Elle est née à Ankara et lui à Lyon. Ils se sont rencontrés en 2002. Ils ont beaucoup voyagé ensemble et réalisé à cette occasion plusieurs courts métrages documentaires, sélectionnés dans des festivals internationaux. Puis ils sont passés progressivement du documentaire à la fiction, et ce film est leur 4ème long métrage.

Le précédent avait déjà été sélectionné par notre association. Il avait déjà une femme pour personnage principal mais c’était une femme qui vivait en pleine nature, alors que Confidente est un huis-clos, centré sur une femme qui parle beaucoup alors que le personnage du film précédent était muette. Si je vous dis que ce personnage utilisait un langage sifflé pour communiquer, peut-être retrouverez-vous le titre de ce film ? Il s’agissait de SIBEL.

Ils revendiquent cette grande diversité dans leur cinéma par la volonté d’explorer des univers différents. D’ailleurs, chacun de leur film explore un genre différent (road movie, film fantastique, western, thriller psychologique)

Confidente peut rappeler The Guilty, ce film danois ayant fait l’objet d’un remake aux USA, où l’on assistait à une conversation téléphonique entre un policier et une femme kidnappée. Il s’agit en effet là aussi d’un huis-clos en temps réel qui repose beaucoup sur le jeu de l’actrice principale, pour qui le scénario a été écrit. Pour autant, le film ne manque pas de péripéties et de rebondissements et permet aux réalisateurs d’exprimer un point de vue sur la condition féminine en Turquie, les violences sociales, la corruption de l’état…

Le point de départ de Confidente, c’est le tremblement de terre qui a frappé la Turquie en 2023. « Nous en avons suivi les conséquences sur internet et à la télévision, et en en parlant entre nous, on s’est rendu compte qu’elles étaient extrêmement similaires à celles de celui qui avait eu lieu en 1999, comme si, en fait, rien n’avait changé : les gens vivaient exactement la même chose. On a donc décidé de nous pencher sur cette question. Ensuite, les téléphones roses, qui faisaient fureur en Turquie à la fin des années 90 sont arrivés dans l’histoire, car ils nous permettaient de créer de la fiction sans avoir recours aux images d’archives. Ils nous ont donné la liberté de pour pouvoir traiter du  tremblement de terre sans faire revivre le trauma aux personnes qui l’ont vécu. » En effet Le métier qu’exerce le personnage principal du film (opératrice dans un call center érotique) a connu une grosse explosion en Turquie dans les années 1990, époque à laquelle se déroule l’histoire de Confidente avec le développement des hotlines dans le pays. L’actrice a d’ailleurs rencontré des femmes travaillant dans ce milieu pour donner de la véracité à son personnage.

Le film a été tourné non pas en studio mais dans une maison appartenant à la mère de la réalisatrice, qui a fini par tenir un petit rôle dans le film, ainsi que d’autres membres de la famille.

Enfin, écoutez bien le moeceau final du film, il s’agit d’une chanson de Clara Ysé intitulée Douce qui fait écho au propos des 2 cinéastes.

 

L’épreuve du feu, d’Aurélien Peyre

 

L’épreuve du Feu – Aurélien PEYRE – le 4 septembre 2025

-Pres Marion Magnard

Aurélien PEYRE est né le 1er janvier 1992 à Paris et passe toutes ses vacances d’été dans l’île de Bréhat où sa grand-mère possède une petite maison de pêcheur. Et chaque année il retrouve la même bande de jeunes, les élégants enfants des riches parisiens séduits par le charme bréhatin.

Assistant metteur en scène, Aurélien, avec sa sensibilité très affutée, était donc aux premières loges pour observer la sociologie des groupes de jeunes en fin d’adolescence…En 2016, déjà, un court métrage, « la Bande à Juliette » au Festival de Brive, avait attiré l’attention sur les rapports de force dans les groupes, et en 2018, au festival Nouvelle Vague de Biarritz, « Coqueluche », tourné à Bréhat, étudiait comment s’affranchir du regard des autres et des castes sociales.

Cinq ans après, Aurélien décide de reprendre Coqueluche, en le densifiant, pour son premier long métrage qui sera tourné dans l’ile de Noirmoutier. Pourquoi pas à Bréhat, comme Coqueluche ? La réponse est toute simple : les voitures étant interdites à Bréhat, on pouvait transporter du matériel léger en tirant une petite carriole sur les quai du port et sur les chemins de terre pour un moyen métrage mais pour un long, il fallait d’autres moyens.

Dans « l’épreuve du feu », pour Hugo, le personnage principal, c’est le moment du choix entre son désir, l’homme qu’il veut être, et l’indispensable appartenance au groupe ou au réseau., objectifs qui s’avérent très difficilement conciliables…

Et Aurélien tient à ce que ses personnages évoluent dans une île, isolés de leur monde habituel, dans la parenthèse temporelle des vacances.

Révélé dans « Eté 85 » de François Ozon en 2020, Frédéric LEFEBVRE est un Hugo sensible et rageur. Kamil, le vrai ami, ni bréhatin ni parisien, est ioué par le charmant Nolan MASRAF. Quant à l’incroyable Anja VERDEROSA, elle a été découverte par Bruno Levy le producteur, dans un casting sauvage sur les réseaux sociaux. Et dans son rôle de Queen, c’est « un diamant brut de vitalité et de sentimentalité », au milieu des gosses de riches moitié fascinés, moitié méprisants.

Le réalisateur a réuni tous les jeunes acteurs à Noirmoutier un mois avant le tournage, ils se sont bien entendus et c’est donc tout naturellement qu’ils donnent l’impression d’une sorte de colonie de vacances. Aurélien a longuement discuté avec chacun, mais leur a laissé ensuite la plus grande liberté…

La bande-son est l’œuvre de Maud Geffray, compositrice de musique électronique française et DJ.

Sorti le 13 août 2025, le film a été très chaleureusement accueilli par le Public et les critiques saluent « sa mise en scène pudique et d’une grande justesse ». Et si l’un d’eux dans le masque et la Plume reproche à Aurélien d’avoir trop fait poser le regard d’Hugo sur Queen, je vous dirais ce que le réalisateur a glissé dans une interview : « l’épreuve du feu, c’est un petit peu autobiographique… ».

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