Archives de catégorie : Séances du jeudi soir

Eddington, de Ari Aster

 

EDDINGTON, de ARI ASTER – 21 aout 2025 – Pr. Marion Magnard

Ari ASTER est né en 1986 à New York, d’un père musicien et d’une mère poète.

Il a 7 ans lorsque ses parents quittent New York et s’installent au Nouveau Mexique, un des « four Corners », les 4 états du Sud-Ouest des USA. Bien qu’ayant baigné dans la musique et la poésie dès sa naissance, Ari est subjugué par les films d’horreur qu’il dévore dans toutes les vidéothèques. Et pour lui, la famille est le lieu de toutes les ignominies… son premier court métrage lorsqu’il étudie le cinéma à l’Université de Santa Fé, capitale du Nouveau Mexique, aura pour thème un père abusé par son propre fils… 

Revenu à New York, li est la star du Studio de Production indépendant A24, qui produit ses 3 premiers films : Hérédité en 2018, Midsommar en 2019 , Beau is afraid, en 2023, déjà avec Joachin Phoenix, 3 thrillers sur les deuils, les atavismes familiaux et les traumatismes héréditaires.

Alléché par ce ton nouveau, le Festival de Cannes 2025 sélectionne pour la compétition officielle EDDINGTON, son 4ème film.

EDDINGTON est un autre Thriller, tout à la fois politique et policier. C’est un nouveau-western, cynique et particulièrement violent.

La Bande-son, collaboration entre le cinéaste et les musiciens Krlic et Pemberton est anxiogène avec sa basse profonde de film noir.

Le casting mélange des étoiles montantes et des comédiens oscarisés comme Joachim Phoenix, omniprésent, Pédro Pascal et Emma Stone.

Les critiques sont diversifiées, on peut lire :

– Portrait d’un monde aussi inquiétant que réaliste

– Un film en gros sabots sur l’Amérique trumpiste actuelle

– Satire d’une Amérique divisée et au bord de l’explosion.

Mais je préfère vous faire écouter Ari ASTER lui-même :

« J’ai aimé donner à ce film le cadre d’un western, paysage qui reflète ce que l’Amérique est devenue, un farwest fracturé où les individus enfermés dans la vérité de leur smartphone sont des radicaux libres qui se percutent en vase clos…Mais je refuse de croire mes compatriotes programmés pour la Haine. »

Et maintenant c’est à vous de découvrir Eddington !

The Phoenician scheme, de Wes Anderson

Deux ans après Asteroid City, Wes Anderson propose une nouvelle plongée dans les années 1950 avec The Phoenician scheme.

Cet américain de 56 ans d’origine scandinave nait à Houston au Texas d’une mère archéologue et d’un père dans les relations publiques. Jeune homme, il choisit de suivre des études de philosophie et tourne en parallèle des courts métrages en super 8. Il apprend donc par la pratique sans suivre de véritables études de cinéma. Dans son université à Houston, il rencontre Owen Wilson et Bill Murray dans un cours d’écriture de scénario.

Le réalisateur autodidacte débute alors dans le cinéma d’auteur indépendant en 1993 par un court-métrage en noir et blanc Bottle Rocket, une comédie policière qui raconte les aventures de trois jeunes Texans désœuvrés qui commettent un braquage sans avoir l’envergure de criminels professionnels.

Le cinéma de Wes Anderson a une facture très caractéristique et a fait l’objet d’une récente exposition à la cinémathèque de Paris. Son univers esthétique et sophistiqué inspire tellement d’artistes et de photographes qu’un compte Instagram intitulé Accidentally Wes Anderson a été créé en 2017 pour réunir des clichés évoquant l’esthétique de ses films et a donné lieu en 2020 à la publication d’un livre préfacé par Wes Anderson lui-même.

On peut dire que son cinéma se situe au carrefour de la comédie dramatique, du film d’aventures et du conte surréaliste . Il se caractérise par le goût de l’artisanat avec l’utilisation de miniatures et de maquettes ainsi que d’objets sophistiqués ; le goût des tableaux vivants et des scènes colorées filmées en pellicule 35 mm avec des plans frontaux ou verticaux fixes ou balayés en travelling latéral et l’omniprésence de la musique.

L’objectif dans The Phoenician scheme est d’inventer une histoire proche des grandes figures de l’industrie européenne comme Calouste Gulbenkian, Onassis ou Niárchos, armateur grec connu pour avoir lancé le premier super pétrolier ou encore Árpád Plesch, banquier et avocat hongrois, propriétaire d’une célèbre collection de livres rares de botanique et de dessins précieux de pornographie ésotérique qui fut le mentor de la première fortune d’Italie le patron de Fiat, Gianni Agnelli.

Ainsi le personnage du prince Farouk, interprété par Riz Ahmed est inspiré de Calouste Gulbenkian homme d’affaires, mécène et grand collectionneur arménien. Cet industriel a eu un rôle central dans le partage des richesses pétrolières du Moyen-Orient entre les grandes puissances britanniques françaises et américaines et dans la structuration de l’industrie pétrolière au Moyen-Orient. En 1920 , il avait judicieusement négocié une part de 5% des champs de pétrole qui venaient d’être découverts en Irak et en retira un revenu de plusieurs millions de dollars, d’où son surnom de Monsieur 5%. Il amassa une des fortunes les plus colossales de son temps et constitua une des premières collections d’art mondiales qu’il légua à une fondation portugaise, la fondation Calouste-Gulbenkian située à Lisbonne .

Wes Anderson explique que l’intrigue se nourrit je cite « des enjeux politiques de la région, de ses multiples territoires, de ses fiefs ».

Les personnages sont nombreux et hauts en couleur comme Marseille Bob, joué par Mathieu Amalric qui s’inspire de films comme Bob le flambeur de Jean-Pierre Melville ou de Touchez pas au grisbi de Jacques Becker. Wes Anderson précise qu’ils sont aussi en partie inspirés par des figures issues du cercle de Fouad Malouf, son beau-père homme d’affaires libanais à qui il dédie le film.

L’essentiel du film a été tourné en intérieur dans les plus anciens studios de cinéma du monde fondés en 1912, et situés dans le quartier de Babelsberg à Potsdam dans la banlieue sud-ouest de Berlin. C’est dans ses mêmes studios qu’il avait filmé les maquettes miniatures pour The grand Budapest hôtel. Le bâtiment qui accueille la création de costumes et de décors a depuis cette année été rebaptisé Bâtiment Wes Anderson.

Les 3 acteurs principaux Benicio Del Toro, Mia Threapleton et Michael Cera y ont retrouvé Wes Anderson pour deux semaines de répétitions avant le début du tournage, tournage qui a duré 3 mois pendant lesquels la complicité entre techniciens, comédiens et figurants a pu s’installer au cours des dîners collectifs traditionnels organisés par Wes Anderson.

Pour l’anecdote un Renoir issu de la collection Nahmad ayant autrefois appartenu à Greta Garbo, un Magritte provenant de la collection Pietzsch, et plusieurs tableaux prêtés par la Hamburger Kunsthalle participent au décor ce qui a imposé la présence de gardiens sur le plateau.

La costumière Milena Canonero, multi oscarisée, a conçu les costumes. À partir de recherches sur la période où se déroule le film, mais aussi de photographies de peintures ou d’autres films. Elle a défini le style de chaque personnage avant de les présenter aux acteurs.

Les effets spéciaux ont été réalisés de manière artisanale comme pour la libellule qui se pose sur l’avion de Zsa-Zsa et qui en réalité est une marionnette. Le ciel et les nuages qu’on aperçoit par le hublot, sont faits en toile peinte et en boules de coton.

Enfin, la bande-originale réunit des morceaux des jazzmen légendaires, Glenn Miller et Gene Krupa, dont la batterie a inspiré la percussion qui traverse toute la bande-son.

Au-delà des références cinématographiques et historiques, Wes Anderson confie qu’il a souhaité explorer le rapprochement entre un père et sa fille. Je vous laisse maintenant découvrir The Phoenician scheme.

Doris Orlut

L’accident de piano, de Quentin Dupieux

L’ACCIDENT DE PIANO, de Quentin DUPIEUX – 31 juillet 2025 – Marion Magnard

 

Fils d’un garagiste parisien ami de Coluche, Quentin Dupieux tout gamin accompagne sur les plateaux l’ami de son père, il sera même figurant dans un de ses films, et demeurera littéralement « habité » par le cinéma. Dès l’âge de 12 ans, il s’amuse à faire toutes sortes d’expériences avec une caméra. Il apprendra ensuite les techniques du cinéma pendant son service militaire avec l’équipement haut de gamme de l’Ecole Polytechnique. Il ne fera pas d’école de cinéma et son professeur sera son ami le cinéaste Michel Gondry.

Et connaissant tout du cinéma, de la production au montage, il est à ce jour l’éclairagiste, le script, le scénariste, le cadreur, le musicien, de 19 films en 24 ans.

Vous avez selon vos goûts plus ou moins aimé chacun de ses 13 premiers films les plus connus, de l’irrésistible « au Poste » avec Denis Podalydes en 2018, au « Le 2ème acte » en ouverture du festival de CANNES 2024, en passant par « Daaaali ! » avec 5 acteurs dans le rôle-titre. Et vous allez découvrir maintenant son dernier film, avec en vedette Adèle Exarchopoulos, découverte dans « la vie d’Adèle » d’Abderatif KECHICHE en 2013.

Je me demande comment vous allez accueillir Adèle dans son 3ème film avec Quentin Dupieux, 5 ans après son rôle de gentille crétine dans « Mandibules » et 3 ans après avoir joué Céline assassinée à coups d’outils de jardinage dans « Fumer fait tousser » sans doute l’un des plus délirants des films Dupieusiens, et ce soir en Magalie, dite Mégaloche, la Youtubeuse qui ne connait pas la douleur, dans une ambiance particulièrement pesante et accentuée par la bande-son.

Jusqu’à présent Quentin DUPIEUX réservait volontiers à ses actrices des rôles de débiles mais cette fois Adèle, transformée après des heures de maquillage et diverses prothèses, est le personnage central. Les 3 acteurs, Adèle, Sandrine Kiberlain la journaliste et l’assistant faire valoir Jérôme Commandeur sont tous trois excellents, et disent avoir beaucoup aimé leurs rôles hors de leur zone de confort et d’être dirigés par ce réalisateur précis et cash !

Adèle-Magalie est-elle dans « l’accident de piano », ce film drôle et méchant, le porte-parole d’un nouveau Quentin Dupieux, éprouvant un véritable mal-être, voire de la haine, devant ce qu’est devenue notre civilisation à l’ère des réseaux sociaux ? A nous de voir…

Marion Magnard

Enzo, de Laurent Cantet et Robin Campillo

Le film que vous allez voir ce soir était au départ un projet de Laurent Cantet, le réalisateur de Ressources humaines, sorti en 2000, L’Emploi du temps, sur l’affaire JC Romand en 2001 ou encore de Entre les murs, qui a obtenu la Palme d’or en 2008. Laurent Cantet est également le fondateur d’une plate-forme de streaming très appréciée des cinéphiles = la Cinetek, 1ère plateforme consacrée au cinéma de patrimoine.

Ce projet est donc le sien, il en est le scénariste mais au moment de passer à la réalisation, apprenant qu’il était atteint d’un cancer, Laurent Cantet a fait appel à son ami Robin Campillo (réalisateur de 120 battements par minute, L’Ile rouge…) pour le seconder. Robin Campillo n’est pas seulement un ami de Cantet, il est le monteur de 6 de ses précédents films et le co-scénariste de 5 d’entre eux. Il s’agit donc non seulement d’une longue histoire d’amitié, mais d’un long compagnonnage de travail. Ils ont fait ensemble le casting des 4 personnages principaux : 2 comédiens aguerris dans les rôles des parents (Elodie Bouchez et Pierfrancesco Favino) et 2 autres acteurs non-professionnels : dans le rôle d’Enzo un jeune homme qui a fait de la natation de haut niveau, et dans le rôle du maçon ukrainien, un ouvrier maçon travaillant sur les chantiers. Cette tension entre acteurs confirmés et débutants permettant de créer déjà un rapport de classe entre les les personnages.

Par la suite, l’état de santé de Laurent Cantet va se dégrader rapidement, quelques semaines avant le tournage, il va donc confier la réalisation à son ami, en accord avec sa compagne et sa productrice.

Ce film est un récit initiatique, un portait d’adolescent en manque de repères, mais il renouvelle le thème de l’émancipation adolescente en racontant un parcours de transfuge de classe à l’envers : Enzo cherche à se libérer de la contrainte familiale « par le bas », en échappant à la trajectoire scolaire et à ses outils de contrôle comme Parcoursup, pour se confronter à la brutalité du monde du travail manuel. Il s’agit donc d’un film qui, comme souvent chez Laurent Cantet, aborde des questions sociales (on y assiste à des scènes de confrontation des classes sociales, de discussion au sujet du salaire des personnages) à travers le prisme de l’intime.

Life of Chuck, de Mike Flanagan

Le film que Toiles Emoi a choisi de vous présenter ce soir est tiré d’un recueil de nouvelles écrit par Stephen King qui s’intitule If it bleeds autrement dit Si ça saigne. Peu avant sa publication en 2020, Stephen King, écrivain américain très prolixe et très connu du monde contemporain, l’avait envoyé à plusieurs réalisateurs comme à son habitude.

Il faut reconnaître que Stephen King en maestro de la littérature horrifique, est une véritable source d’inspiration pour les cinéastes. Je peux citer Carrie au bal du diable de Brian de Palma, Shining de Stanley Kubrick ou encore Dead Zone de David Cronenberg.

Mike Flanagan lui est carrément un super fan puisque Life of Chuck est sa 4ème adaptation à l’écran sur un total de 8 films réalisés. Il y a eu Jessie en 2017, Doctor sleep en 2019 et la série La tour sombre en 2023. Cette histoire sur la fin du monde qui ne tend ni vers le désespoir ni vers le cynisme l’a séduit aux larmes. En plus d’être le scénariste, le réalisateur et le monteur Mike Flanagan a aussi produit Life of Chuck avec Trévor Macy.

C’est un réalisateur qui aime s’entourer d’une même troupe d’acteurs et de techniciens. Son épouse Kate Siegel joue d’ailleurs dans Life of Chuck, elle interprète Miss Richards.

Pour raconter Charles Krantz dit Chuck à tous les âges de la vie, Mike Flanagan a fait appel à 4 acteurs dont leur fils Cody qui joue Chuck à 7 ans. Le Chuck de 11 ans est Benjamin Pajak. Jacob Tremblay, son acteur fétiche qui s’est révélé en 2015 par son interprétation dans Room aux côtés de Brie Larson, joue Chuck à 17 ans. Enfin, le Chuck adulte est interprété par Tom Hiddleston, connu notamment pour le rôle de Loki dans l’univers Marvel.

A la narration on retrouve en voix off Nick Offerman, qui incarne Bill dans The last of us.

La vie de Chuck est racontée à rebours en 3 chapitres d’une quarantaine de minutes avec pour chaque chapitre un format d’image différent : 1.85 pour l’enfance, 2.0 pour l’âge adulte, 2.39 pour la fin.

Les frères Andy et Taylor Newton qui forment le groupe The Newton Brothers collaborent pour la 11èmefois avec Mike Flanagan. Ils créent une ambiance immersive avec des musiques inspirées aussi bien de la musique classique que de la musique électronique ou du rock moderne.  Ils s’inspirent également de Maurice Jarre, le père de Jean-Michel Jarre, et de son travail sur les synthétiseurs.

Le tournage de The Life of Chuck a débuté en 2023 en extérieur en Alabama mais il était toujours en recherche de distributeur et n’avait donc pas de date de sortie. Heureusement, il a reçu le prix du public au Festival international du film de Toronto en septembre 2024 ce qui lui a permis de signer un accord de distribution avec NEON.

Sur cette anecdote, je vous souhaite un bon moment de cinéma !

Doris Orlut

Les musiciens, de Grégory Magne

LES MUSICIENS – Grégory MAGNE- 9 juin 2025 –

Presentation Marion Magnard

Grégory MAGNE né en 1976, journaliste d’origine bourguignonne, ne semblait pas prédestiné à devenir un hardi navigateur. Mais en 2007 il décide de se lancer dans la course transatlantique Voiliers 6m50, de la Rochelle au Brésil. Il film son aventure et en fait un véritable documentaire sous le titre « 24 heures par jour de mer », très bien accueilli. Et, sous l’influence peut être de ses amis acteurs ou musiciens, il abandonne le journalisme pour le cinéma, d’abord les documentaires et les scénarios, puis les films

Les deux premiers, « L’Air de rien » en 2012 et « Les parfums » en 2020, nous présentent deux duos improbables : la rencontre de deux personnalités inconciliables qui auront une aventure commune (un huissier joué par Grégory Montel et un ancien chanteur criblé de dettes joué par Michel Delpech dans le premier, et Emmanuelle Devos créatrice de parfums et son nouveau chauffeur qu’elle ne regarde même pas, aussi joué par Montel, dans le second).

Pour les Musiciens, son 3ème film, le duo s’agrandit : trois violonistes et une violoncelliste, musiciens professionnels et très bons comédiens, un luthier professionnel qui joue un luthier, et de nombreux acteurs que vous reconnaitrez avec plaisir, comme Frédéric Pierrot que vous avez aimé psychiatre dans Thérapie, qui joue le compositeur, et une délicieuse Valérie Donzelli que vous connaissez aussi comme réalisatrice de « la guerre est déclarée » et « de l’amour et des arbres »,  débordée par l’énormité de la tâche qu’elle a entreprise pour réaliser le rêve de son richissime père défunt.

Et vous avez ce soir doublement bien fait de venir au cinéma :

  • D‘abord, c’est la fête de la Musique. Ciné Festival et Toiles-Emoi ne pouvaient pas trouver mieux que vous faire découvrir à cette occasion une élégante et savoureuse comédie humaine , et l’oeuvre qui est le cœur du film, créée par le compositeur Grégoire Hetzel assisté par Daniel Garlitski qui est à la fois un des violonistes et le superviseur musical du film.
  • Et ensuite parce qu’en la période sévèrement troublée que nous traversons nous serons heureux de voir ce film qui nous dit qu’on peut trouver l’harmonie si on accepte de s’écouter les uns les autres.

 

 

Partir un jour, d’Amélie Bonnin

 

Pour une soirée des 1ères fois : 1ers projets scolaires au long cours pour nos élèves, 1ère diffusion au cinéma… le film Partir un jour nous a paru être dans la continuité.

C’est en effet le 1er long métrage de fiction d’Amélie Bonnin, qui lui a valu sa 1ère participation au festival de Cannes, où c’était également la 1ère fois qu’un 1er long métrage faisait l’ouverture !

Pourtant, sa réalisatrice n’est pas tout à fait une débutante. Elle a 40 ans cette année, a réalisé en 2012 un 1er long métrage documentaire sur la boucherie familiale, milieu dont elle est issue, puis un autre documentaire en 2017. En 2021, elle sort un court- métrage musical intitulé… Partir un jour, qui reçoit le César du meilleur court métrage de fiction. Elle suit donc ainsi un chemin identique à celui d’un autre réalisateur, Xavier Legrand, dont le court métrage Avant que de tout perdre avait reçu le même César en 2014, ce qui lu avait permis de tourner ensuite le long métrage Jusqu’à la garde. Ce processus s’inscrit dans un plan de financement qui permet aux réalisateurs de courts métrages remarqués d’obtenir le financement pour un long, on souhaite le même destin à nos apprentis cinéastes ! En recevant son César, la réalisatrice avait d’ailleurs déclaré « j’ai 40 ans, des cheveux blancs, et tout commence !

Ce film est donc une sorte de remake du court, qui reprend les mêmes acteurs principaux (Juliette Armanet, Bastien Bouillon, mais en inversant les rôles, et je vous incite vivement à voir le court métrage, actuellement disponible sur arte, ainsi que son making of (jusqu’à demain seulement)

Le titre annonce est programmatique à 2 points de vue : d’une part, il annonce le sujet du film (l’histoire d’un personnage qui a quitté la petite ville de son enfance pour voir plus grand) mais il annonce aussi les chansons populaires qui vont traverser le film puisque c’est une référence à un tube que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître : une chanson de 1996 du boy’s band les 2be3. En effet, vous allez voir qu’une partie des dialogues sont remplacés par des chansons connues, interprétées par les acteurs eux-mêmes, acteurs ou chanteurs puisque l’interprète principale est Juliette Armanet. La réalisatrice croit en effet à la capacité de ces chansons populaires d’exprimer des choses profondes, difficiles à dire, et pense que le plus beau des dialogues, c’est de chanter « mourir sur scène » de Dalida en épluchant des patates. Alors les élèves nous ont présenté ce soir des documentaires, un film d’animation, un film d’apprentissage, une comédie … peut-être un film musical l’an prochain ?

 

 

 

Tu ne mentiras point, de Tim Mielants

TU NE MENTIRAS POINT (SMALL THINGS LIKE THESE)

Le film que Toiles Emoi vous propose ce soir est l’adaptation du roman de Claire Keegan sorti en 2020, Small Things Like These qu’on peut traduire par Ce genre de petites choses. Il met en scène l’histoire peu connue des couvents de la Madeleine, ces institutions religieuses irlandaises qui ont accueilli jusque dans les années 80 les « fallen women » ces jeunes femmes prostituées, victimes d’incestes ou de viols. Souvent placées de force par leurs parents ces jeunes femmes, sous prétexte de réhabilitation morale, y étaient contraintes au travail forcé dans des conditions indignes. Suite aux témoignages de victimes survivantes et à la découverte de charniers anonymes, le gouvernement irlandais a officiellement reconnu sa responsabilité en 2013. Cependant l’autorité religieuse du Vatican, ne l’a toujours pas reconnue. Aujourd’hui ce pan de l’histoire reste largement tabou et ignoré de beaucoup d’irlandais.

En 2002, The Magdalene sisters le film de Peter Mullan, lion d’Or à la Mostra de Venise, avait fait découvrir ce scandale de l’église catholique irlandaise.

20 ans après, le réalisateur flamand, Tim Mielants, fidèle au roman de Claire Keegan aborde ce récit historique par le prisme d’un protagoniste masculin, qui enfant a vécu la perte de sa mère. Les thèmes de la perte et du deuil sont des thèmes qu’il affectionne particulièrement.

Cillian Murphy interprète cette figure masculine en observateur silencieux. C’est d’ailleurs lui qui a proposé à Tim Mielants d’adapter le roman à l’écran. Il est également producteur du film, en collaboration avec Artists Equity, la société de production de Matt Damon et Ben Affleck. L’ambition d’Artists Equity est de respecter la vision des artistes et de promouvoir le partage des bénéfices avec leurs créateurs.

Vous remarquerez que le titre choisi pour la distribution du film en France est Tu ne mentiras point. On peut l’interpréter comme une référence à la transgression de ce commandement biblique par les institutions religieuses. Vous remarquerez aussi les choix artistiques pour illustrer la pression sociale et la violence psychologique de cette époque où l’Irlande se chauffait encore au charbon. Les plans sont statiques, la lumière en clair-obscur et le silence est omniprésent. Ainsi le jeu d’acteur repose sur le regard, la posture et les expressions du corps.

 

The lost king, de Stephen Frears

Le Festival Coups de cœur d’Avignon s’ouvrira demain sous un nouveau chapiteau au Lycée Professionnel, avec Richard III comme spectacle d’ouverture. Pour faire écho à cette pièce de Shakespeare, nous avions plusieurs possibilités : l’une d’elles était le film d’Al Pacino. Looking for Richard (1996), mais nous avons finalement choisi une œuvre plus récente et plus légère, qui pourrait porter le même titre.

The lost King, sorti en 2022, est le dernier film à ce jour de Stephen Frears, réalisateur bien connu depuis My beautiful Laundrette, le film qui l’a rendu célèbre en 1985. Célébrité confirmée en 1988 avec son adaptation des Liaisons dangereuses avec Glenn Close, John Malkovich, Michèle Pfeiffer, Uma Thurman … Depuis les années 2000 il se consacre surtout à des biopics de femmes plus ou moins célèbres, parmi les quels The Queen avec Helen Mirren. The lost King fait partie de cette série puisque son personnage principal est inspiré de Philippa Langley, une historienne amateure qui, après avoir assisté à une représentation de la pièce, s’est lancée corps et âme à la recherche du corps de Richard III.

En effet, il faut savoir que ce roi du XVème s est un personnage controversé : dans sa pièce, Shakespeare le présente comme un tyran difforme, dévoré par l’ambition et la jalousie à l’égard de son frère Edouard IV. Mais il existe en Angleterre plusieurs associations, que l’on appelle les Ricardiens, composées notamment d’historiens mais pas seulement, qui se donnent pour objectif de réhabiliter ce roi, considérant que l’image qu’en donne Shakespeare est une forme de propagande initiée par la branche des Tudor.

Le film dresse avec humour le portrait d’une femme ordinaire qui souffre d’un syndrome neurologique couramment appelé « syndrome de fatigue chronique » et que personne (sauf son ex-mari) ne prend au sérieux : ni son patron, ni les universitaires, ni les historiens patentés… et qui va pourtant rencontrer la grande histoire, grâce au théâtre. C’est le théâtre qui va relier une femme ordinaire du XXIème s à un roi légendaire. Dans la représentation à laquelle elle assiste, le roi est incarné par un jeune acteur charismatique dont le visage restera dans ses pensées tout au long de sa recherche. L’interprète de Philippa, Sally Hawkins, est habituée de ces rôles de femme empêchée et touchante, puisqu’elle jouait la femme de ménage muette de La Forme de l’eau. A noter : toute l’équipe du fim est britannique, sauf A Desplat à la musique.

On peut donc dire que ce film cherche certes à donner tort à Shakespeare en dénonçant la façon dont il a déformé l’Histoire, mais en même temps il rend hommage à l’œuvre en faisant d’elle le point de départ grâce auquel Philippa va se lancer dans une quête qui n’est pas seulement celle du roi mais d’elle-même.

Bonne séance, bon festival mais attention ! qui sait vers quelle passion un spectacle de théâtre peut vous mener !

Black dog, de Guan Hu

Black dog est le 12ème film de Guan Hu, avez-vous déjà vu un de ses films ? Sûrement pas car celui-ci est le 1er à sortir en France, grâce à sa sélection dans la section « Un certain regard » au Festival de Cannes.

Guan Hu est un réalisateur qui fait partie de ce qu’on appelle la 6ème génération de réalisateurs en Chine. Cette sixième génération regroupe des réalisateurs actifs à partir des années 90, après l’écrasement de la révolte de la place Tiananmen, qui pratique un cinéma souvent assez réaliste et proche du documentaire, avec beaucoup de caméra épaule, afin de montrer les changements de la société et notamment de la jeunesse chinoise.

Guan Hu est né en 1968 et diplômé en 1991 de l’académie de cinéma de Pékin et se fait connaître en 1994 avec le film Dirt, représentation de la scène musicale rock de Pékin. A cette époque, le réalisateur paye 2000 $ pour s’affilier à un studio d’état et ainsi obtient d’être distribué en Chine et même projeté dans des festivals à l’étranger avec l’approbation des autorités. C’est ainsi que peu à peu, il devient un réalisateur officiel de blockbusters chinois.

Pourtant, le film de ce soir est un film d’auteur, qui sort du blockbuster d’abord par son art de set de sortir des codes mêler les genres : c’est à la fois une dystopie, un western situé à proximité du désert de Gobi mais avec des chiens et des tigres à la place de chevaux, un documentaire sur l’état de la Chine au moment de la préparation des jeux olympiques de Pékin en 2008. Certains y voient une critique virulente contre un pays qui broie ses habitants, mais le réalisateur s’en défend, car il fait partie du système et tous ses films reçoivent l’aval de la censure chinoise. Ce qui lui importe, c’est de montrer l’évolution du monde rural dans ces 20 dernières années mais aussi de proposer une réflexion sur la relation entre l’homme et l’animal, et sur la part d’animalité présente en chacun d’entre nous.

Il sort également du blockbuster par une histoire hors norme, celle de 2 personnages marginaux : le chien noir du titre mais aussi le personnage principal, Lang, ancienne star rock qui vient de sortir de prison, interprété par un acteur canado-taiwanais très connu en Chine pour ses rôles de jeune premier dans des comédies romantiques et totalement à contre emploi ici.

L’intrigue est assez simple et se concentre sur ces 2 personnages, mais la mise en scène et le contexte spatial et temporel font de ce film une expérience cinématographique hors du commun, alors je vous souhaite la bienvenue dans ce western apocalyptique qu’un critique situe entre Mad Max et Charlie Chaplin.

Danièle Mauffrey