Séance proposée dans le cadre des Journées de l’APA
Il existe une apparente incompatibilité entre le monde du cinéma et celui du journal intime: le journal intime requiert solitude, intimité, repli sur soi ≠ le cinéma est œuvre collective, technique difficilement envisageable sans une équipe => même si beaucoup de films sont tirés d’oeuvres autobiographiques, et si de très nombreux films accordent une grande part à des éléments autobiographiques, inspirés de la vie du réalisateur, bien peu de films de cinéma peuvent être rapprochés de l’autobiographie stricto sensu et encore moins de cette forme particulière qu’est le journal intime.
Mais s’il est un cinéaste qui, au fil de son œuvre, a tenté de rapprocher son cinéma de l’intime, c’est bien Alain Cavalier. En effet, né en 1931, il a commencé sa carrière de cinéaste par des films de fiction à distribution prestigieuse (Le combat dans l’île, avec Trintignant et R Schneider en 1962 ; L’Insoumis avec Alain Delon en 1964, ou encore La Chamade avec Deneuve et Piccoli en 1968). Pourtant il décide à la fin des années 1970 de se défaire de la lourdeur industrielle de telles productions et commence à creuser une matière autobiographique, avec un matériel et donc une équipe très réduite : il filme seul avec une petite caméra. Cela se manifeste de manière très radicale avec Ce répondeur ne prend pas de message, en 1979, un étrange autoportrait du cinéaste en homme endeuillé, le visage bandé comme l’Homme invisible, à la fois dans le champ et dissimulé, peignant en noir les fenêtres de son appartement. Par la suite, l’œuvre d’Alain Cavalier se décline, jusqu’à son dernier film, L’Amitié, sorti en 2022, entre portraits et films autobiographiques.
Et si l’on pose la question, « Que savons-nous du journal ? », le film que nous allons voir apportera bien quelques éléments de réponses à cette question. En effet, Irène est un film tourné en 2008 ? qui met en scène un journal, celui du réalisateur, ou tout du moins une partie, sous la forme de 3 carnet tenus en 1970, 71 et 72, alors qu’il est âgé de 39, 40 et 41 ans. Le point de départ du film est un élément éminemment autobiographique, la mort de la mère du réalisateur, qui fait resurgir les souvenirs de la mort, une trentaine d’années plus tôt, de son épouse, actrice et mannequin d’une beauté radieuse, décédée dans un accident de voiture. Le réalisateur se replonge alors dans son journal intime de cette époque, il nous en lit des passages, mais il livre aussi les réflexions que cette lecture lui inspire et construit ainsi un film qui est à la fois un journal de deuil et un portrait en creux d’Irène.
Danièle Mauffrey