Archives mensuelles : octobre 2024

Le procès du chien, Laetitia Dosch

Le procès du chien, Laetitia Dosch

Laetitia Dosch a 44 ans, elle a suivi une formation de comédienne de théâtre en France puis en Suisse, elle a donc d’abord joué sur les planches dans des pièces de Tchekov, Brecht ou Shakespeare. Son 1er grand rôle au cinéma lui est offert en 2013 par Justine Triet, dans la Bataille de Solférino. Elle tourne ensuite sous la direction de C Corsini, Maiwenn, C Honoré et bien d’autres. On a pu la voir très récemment dans Le roman de Jim, des frères Larrieu, où elle interprète la mère de Jim.

Le procès du chien est le 1er film qu’elle réalise, mais ce n’est pas la 1ère fois qu’elle s’intéresse dans ses spectacles aux êtres non humains : elle avait par exemple partagé la scène avec un cheval en 2020, et elle pense qu’il faut réinventer note rapport aux autres êtres vivants. Ainsi, ce qui l’a interpellée dans le sujet de ce film, c’est que la loi suisse assimile le chien à une chose, si bien que s’il est euthanasié on considère qu’il est détruit et non tué. Le film est d’ailleurs inspiré d’un fait divers réel, dans lequel un maître chien a été accusé pour des morsures portées par son chien, ce qui a enflammé toute une ville. Or selon la réalisatrice, c’est un sujet qui demande au contraire du calme et des discussions apaisées.

On voit aussi que LD s’intéresse particulièrement aux personnages marginaux comme le maître du chien, le petit voisin punk de la l’avocate ou encore Anabela, la femme mordue par le chien et qui décide de garder ses cicatrices, de refuser la norme, incarnant ainsi une forme de féminisme. Mais le film établit aussi un lien étroit entre le chien Cosmos, l’accusé dans le film, et l’avocate des causes perdues, interprétée par la réalisatrice, tous 2 cherchent leur voix et c’est en voulant le sauver qu’elle va trouver la sienne.

Quelques mots sur l’image de ce film. Si vous observez attentivement les couleurs, vous verrez que le tribunal a des couleurs à la fois plus acidulées et plus douces, pour créer une sorte de bulle, d’espace protégé. Le chef opérateur, Alexis Kavyrchine, est le même que pour le film La fille de son père ou pour le film de Klapish, En corps.

Enfin, la réalisatrice a essayé dans cette comédie de faire jouer ensemble différents types de comiques, de la satire caricaturale avec le personnage de l’avocate de la partie civile interprété par Anne Dorval, et qu’elle a imaginé comme une sorte d’Eric Zemmour ou de Donald Trump, à JPascal Zadi qui a un jeu assez neutre alors que François Damiens est davantage dans l’outrance, en passant par le personnage qu’elle interprète et qui n’a pas peur de faire des grimaces.

A noter: le chien qui interprète Cosmos a reçu la Palme Dog à Cannes !

Les Graines du figuier sauvage, de Mohamad Rasoulof

Le réalisateur de ce soir est iranien. Mohammad Rasoulof commence très jeune à écrire et mettre en scène des pièces de théâtre, avant de réaliser des documentaires et des courts-métrages pour le cinéma. En parallèle, il étudie la sociologie. On peut dire que les relations sociales et la façon dont l’individu et la société sont affectés dans un pays totalitaire sont au coeur de son travail.

Après plusieurs courts métrages, il réalise un premier long métrage, Le crépuscule en 2002. La reconnaissance lui vient en 2005 avec La vie sur l’eau, un film sur l’emprise d’une communauté à un chef qui se voit récompensé au festival des films du monde de Montréal.

En décembre 2010, Rasoulof est arrêté avec son compatriote Jafar Panahi, pour avoir co-réaliser Les blanches prairies, film qui raconte les pérégrinations d’un marin qui parcourt les îles du lac salé d’Urmia pour récolter les larmes des insulaires. Il est condamné à un an de prison et Panahi à six ans pour actes et propagande hostiles à la République islamique d’Iran. Cette peine est assortie de vingt ans d’interdiction de filmer.

Les manuscrits ne brûlent pas, en 2013 raconte les meurtres en série des écrivains et journalistes iraniens par le service des informations de la République Islamique d’Iran.

En 2017, Un homme intègre, film sur la corruption, lui vaut à nouveau des ennuis avec les autorités de son pays, qui l’accusent d’activités contre la sécurité nationale et de propagande contre le régime. Son passeport lui est alors confisqué et il est contraint de rester sur le territoire.

En 2019, il est condamné à un an de prison pour propagande contre le régime après le film Le diable n’existe pas, film contre la peine de mort, qui remporte l’Ours d’or de la Berlinale 2020.

En juillet 2022, Mohammad Rasoulof et Mostafa al-Ahmad sont arrêtés après la publication d’une tribune critiquant l’attitude des forces de l’ordre lors d’une manifestation. Jafar Panahi est arrêté à la suite d’une demande d’informations sur ces arrestations, puis il est libéré sous caution en février 2023. Les autorités iraniennes reprochent aussi à Rasoulof un film documentaire sur le poète Baktash Abtin, Intentional crime, où il accuse le régime d’avoir délibérément privé le poète, emprisonné à Téhéran, des soins que son état de santé nécessitait.

Le Festival de Cannes demande la libération immédiate des cinéastes Rasoulof, Aleahmad et Panahi et condamne la vague de répression en cours en Iran contre ces artistes. Il est libéré à titre temporaire pour raisons de santé en janvier 2023. Invité au Festival de Cannes 2023 comme membre d’un jury, mais toujours sous l’interdiction de quitter le territoire, il ne pourra faire le déplacement.

Le 8 mai 2024, Rasoulof est condamné à une peine de huit ans de prison pour collusion contre la sécurité nationale. Le 77e festival de Cannes, qui débute le 14 mai, a sélectionné son film en compétition officielle Les Graines du figuier sauvage. Son avocat, Me Paknia affirme que les autorités ont convoqué des membres de l’équipe du film pour les interroger et qu’ils ont subi des pressions pour retirer le film des compétitions internationales. Le 12 mai 2024, Mohammad Rasoulof quitte secrètement le territoire iranien afin de se rendre en France, à Cannes.

Mohammad Rasoulof explique que l’idée du film Les Graines du figuier sauvage lui est venue alors qu’il était emprisonné et que commençait le mouvement « Femme, Vie, Liberté ». Il avait en tête la réflexion d’un membre du personnel de la prison, qui en pleine répression généralisée du mouvement « Femme, Vie, Liberté », lui avait confié en aparté, qu’il voulait se pendre devant l’entrée de la prison, tant il était plein de remords et ne pouvait se libérer de la haine, qu’il éprouvait pour son travail.

Le film a été tourné en huis clos avec un minimum de comédiens et de matériel dans des conditions de réalisation et de montage inimaginables. Il est tourné en intérieur, dans des propriétés privées, uniquement à la tombée de la nuit ou au lever du jour. Il illustre l’impact du régime totalitaire iranien sur les liens familiaux. Il montre le drame intime vécu par la famille avec en contrechamp les images de la répression ultra-violente du mouvement « femme, vie, liberté » diffusées sur les réseaux sociaux.

Le titre du film est inspiré du cycle de vie du figuier sauvage, le réalisateur raconte que ses graines, contenues dans des déjections d’oiseau, chutent sur d’autres arbres. Elles germent dans les interstices des branches et les racines naissantes poussent vers le sol. De nouvelles branches surgissent et enlacent le tronc de l’arbre hôte jusqu’à l’étrangler. Le figuier sauvage se dresse enfin, libéré de son socle.

Doris Orlut

Septembre sans attendre, de Jonas Trueba

 

 

SEPTEMBRE SANS ATTENDRE, de JONAS TRUEBA – 3/10/24-

Présentation de Marion Magnard

Vous avez vu « Le charme discret de la Bourgeoisie » et « Belle de jour » du réalisateur espagnol Luis BUNUEL, « Tout sur ma mère » et « Talons Aiguilles » du réalisateur espagnol Pedro ALMODOVAR, « CRIA CUERVOS » de Carlos SAURA, réalisateur espagnol, et vous allez découvrir ce soir le plus Rohmerien des cinéastes espagnols, Jonas TRUEBA, dans « Septembre sans attendre » son 8ème   film, présenté à Cannes 2024 dans la quinzaine des réalisateurs.

Jonas TRUEBA est né à Madrid en 1981. Comédien puis réalisateur, c’est la 3ème fois qu’il réunit devant sa caméra sa compagne l’actrice Itsano ARANA et l’acteur Vito SANZ.

Il raconte : « Je voulais faire le film avec eux deux formant un couple pour la 3ème fois, après « Eva en août » où ils se rencontraient et « Venez voir » où ils étaient mariés, et utiliser les mêmes acteurs pour faire quelque chose de similaire mais différemment. Et je voulais aussi les associer à l’écriture, j’avais besoin de compagnie pour rire de mes erreurs et de mes angoisses. Et j’ai voulu pour la 1ère fois intégrer dans mon film mon héritage familial, le cinéma classique et une certaine idée de la comédie ».

Pour « l’héritage familial », il a choisi son père, Fernando TRUEBA, lui-même réalisateur et scénariste, pour jouer le père d’Itsano ARANA.

Pour « le cinéma classique », vous n’aurez pas de peine à retrouver les traces aussi bien de George Cukor et Howard Hawks que de Godard et Truffaut. Et Trueba prend plaisir à évoquer, dans les dialogues ou à l’image, les livres et les films qui l’ont marqués.

Quant à la comédie, elle est « douce-amère », car le film est aussi une méditation sur le temps qui passe, sur l’existence qui est soumise à des répétitions, à la reprise, ou non, du chemin à parcourir.

Itsano Arana campe une épouse au charme un peu arrogant, à la Kattarine Heppburn , et la bonhommie de son mari Vito Sanz rappelle un peu James Stewart.

Un spectateur rebuté par l’évocation de « La Répétition » de Kierkegaard (comme Rohmer avait cité Pascal dans ma nuit chez Maud) a déclaré que « c’était un film  pour lecteurs de Télérama », mais d’autres spectateurs et la totalité de la Critique parlent d’un petit bijou d’humour, de délicatesse et d’émotion.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vous connaissez

Histoire de Souleymane, de Boris Lojkine

Histoire de Souleymane, de Boris Lojkine

Boris Lojkine est philosophe de formation, et pas des moindres puisqu’il a été major de promo à l’ENS en 1988. Il a d’abord été enseignant à l’université d’Aix- Marseille, avant de passer à la réalisation de doc suite à un séjour au Vietnam, puis en République démocratique du Congo.

En 2013, il tourne son 1er film de fiction, Hope, histoire d’amour entre 2 migrants fuyant l’Afrique pour rejoindre l’Europe. En 2019 il réalise Camille, film centré sur la vie de Camille Lepage, une photojournaliste en reportage en Centrafrique au moment de la guerre civile.

L’histoire de Souleymane, vous est présenté ce soir en avant-première, il a été présenté à Cannes où il a reçu le prix du jury de la sélection « Un certain regard » alors que l’acteur principal recevait le prix d’interprétation masculin dans la même section.

Le réalisateur souhaitait depuis longtemps faire un film sur ces livreurs à vélo dont beaucoup sont sans papiers, et qui voient Paris sous un angle totalement différent du nôtre : une ville étrangère, aux habitants hostiles, aux policiers menaçants. Dans ce film, l’autre c’est le parisien pressé, le passant ou le fonctionnaire qui se tient face à Souleymane.

Beaucoup d’éléments du film viennent du documentaire :

  • sa préparation (il a mené de nombreux entretiens avec les livreurs, que guettent 2 menaces principales : le vol de leur vélo/ l’échec de leur entretien de demande d’asile),
  • le choix du chef op.,
  • le choix de décors qui ne nécessitent pas d’éclairages.
  • Le casting sauvage et le choix d’Abou Sangare, qui n’est pas pro, rencontré à Amiens par le biais d’une association
  • L’absence de musique
  • La manière de filmer avec du matériel léger et dans le mouvement de la vie (vélos filmés à vélo)

Mais en même temps, il a tenu à mettre en place une dramaturgie plus proche du thriller que de la chronique sociale, notamment grâce à une temporalité resserrée : le film se déroule sur 2 jours, pendant les quels Souleymane n’a pas une minute de répit.

Danièle Mauffrey

La prisonnière de Bordeaux, Patricia Mazuy

Patricia Mazuy est fan de polars et de westerns. Après un court passage en école de commerce, elle fait ses débuts au cinéma auprès d’Agnès Varda et de Sabine Mamou sa monteuse, qui la prend d’abord comme stagiaire, puis comme assistante monteuse.

Elle se tourne ensuite vers la réalisation mais le cinéma d’auteur n’étant pas un long fleuve tranquille surtout en matière de recherche de financement, elle s’essaie aux séries télé comme Tous les Garçons et les filles de leur âge et aux documentaires avec par exemple Des taureaux et des vaches.

En trente cinq ans de carrière, la prisonnière de Bordeaux est son septième film. Pour autant, Patricia Mazuy apparaît pour beaucoup de cinéphiles avertis, comme une précurseuse dans le cinéma féminin français.

Si son dernier film Bowling Saturne abordait la masculinité toxique, la prisonnière de Bordeaux la montre en creux en racontant l’histoire d’une amitié féminine forte entre deux femmes dont les maris sont en prison ; amitié, qui s’inscrit bien au delà des différences d’âge et de classe sociale.

A l’origine, il s’agissait d’un projet du cinéaste Pierre Courrèges, qui voulait faire un film social sur les femmes – les sœurs, mères ou filles de détenus. Il avait écrit plusieurs versions avec François Bégaudeau et cherché pendant plusieurs années à monter le film sans y parvenir. Ils étaient sur le point de renoncer quand le producteur Ivan Taieb a proposé à Patricia Mazuy de reprendre le projet. Après s’être assurée que Pierre Courrèges était prêt à passer la main pour que ce film se concrétise, elle en a repris l’écriture avec François Bégaudeau. Elle a longuement travaillé pour apporter de la nuance, de la complexité et de l’épaisseur à ses 2 héroïnes au delà du simple travail des dialogues.

Elle a choisi Isabelle Huppert et Hafsia Herzi pour incarner les héroïnes, l’une pour exprimer le côté burlesque et l’autre la fantaisie et l’auto-dérision. Elle a ensuite finalisé l’écriture avec Emilie Deleuze.

Le tournage s’est déroulé autour de deux lieux principaux : la prison et la maison d’Alma qui sont des lieux fermés. C’est dans le quartier résidentiel de Caudéran à Bordeaux que l’opulente demeure bourgeoise remplie de tableaux a pu être trouvée. Le centre pénitentiaire est celui de Mont de Marsan car en opposition à la maison, il est moderne, excentré de la ville. De cette prison, on ne voit que le parking et le couloir. Le reste, pour des raisons pratiques de logistique et de disponibilité, a été tourné en studio. La maison d’accueil a notamment été recréée, mais les personnes qu’on y voit sont de vraies femmes de détenus, de vrais bénévoles, qui, chargées de leurs vécus, donnent à ce lieu toute sa consistance.

Bien que les maris des 2 héroïnes soient les détenus, Patricia Mazuy a intitulé son film La Prisonnière de Bordeaux au singulier ce qui donne une tournure plus romanesque à l’intrigue.

Vous allez pouvoir observer un travail important sur la couleur. Le décor est traité je cite comme s’il s’agissait d’un tombeau de pharaons avec presque rien d’abord puis un son qui progressivement devient une musique.

Doris Orlut