Un Homme intègre
De Mohammed Rasoulof 25/01/20
Les cinéastes de la nouvelle vague du cinéma iranien ne nous sont pas inconnus :Asghar Farhadi : nous avions vu 2 de ses réalisations : « Une Séparation », « Le Passé », Jafar Panahi avec « Taxi Téhéran », plus récemment Ali Soozandeh avec « Téhéran tabou » et ce soir nous découvrons Mohammed Rasoulof avec « Un homme intègre ».
C’est un souvenir de jeunesse qui a inspiré le film à ce réalisateur iranien de 45ans ; il a commencé à travailler en produisant des publicités en vidéo. Un soir il décroche un travail urgent à faire pour le lendemain, il monte dans sa voiture pour aller à son bureau ; en route il est arrêté par la police pour un contrôle de routine, il n’avait commis aucune irrégularité, cependant on l’immobilise. Au bout de la rue il repère un commissariat. Le temps passe, il explique aux policiers qu’il doit se rendre rapidement à son bureau, au risque de perdre son travail. Mais rien n’y fait ; jusqu’au moment où un policier lui dit que s’il verse une certaine somme d’argent, il sera libéré. Il n’a pas assez d’argent sur lui, propose au policier de l’accompagner jusqu’à son bureau ; là, il en profite pour photocopier rapidement chaque billet qu’il va lui remettre. Puis , il va au commissariat, raconte qu’on l’a forcé à payer un pot de vin et qu’il veut porter plainte. On lui demande s’il a des preuves .Il montre les photocopies et conseille au policier de regarder les billets de ses collègues quand ils seront de retour au commissariat. Aussitôt, on le met en cellule , et il ne quittera le commissariat que le lendemain.
Cette histoire n’a rien à voir avec celle du film, mais ce qu’il a vécu tout jeune, il ne va pas cesser de le dénoncer : le cercle vicieux de la corruption, le constat de la terreur que fait peser l’état iranien.
Dans le film de ce soir, il va confronter cette gangrène aux valeurs morales d’un homme intègre : tout est dit dans le titre. « Le recours à la corruption est un élément de la culture commune de mon pays, dit Rasoulof, et tout le monde se résigne ».En effet elle pénètre toutes les couches de la société. Il va même plus loin en disant « qu’elle est devenue un système qui nous oblige à être corrompu et à corrompre ».Celui qui n’obéit pas aux valeurs du système est considéré comme un marginal, un fauteur de troubles.
Tout au long du film, les rencontres se déroulent dans une voiture afin de rester discrètes. C’est ainsi que le réalisateur a rencontré l’acteur principal, la veille du tournage pour ce rôle que personne ne voulait interpréter. Les acteurs principaux qui jouent le rôle de Réza et Hadis sont remarquables de justesse.
Le film dépasse son statut de film dénonciateur sur le fond, pour s’inscrire dans un projet esthétique sur la forme : les ellipses, les plans récurrents : l’eau par exemple comme instrument de purification, les silences austères qui alternent avec des dialogues explicatifs ,servent ce projet.
Dès les 1ères séquences, le réalisateur installe nombre d’éléments importants pour la suite. Le poisson symbolise la chance, la vitalité lors des fêtes du nouvel an iranien le 21mars.
Le film porte à la fois le courage de son personnage principal et celui de son réalisateur. En 2010 Rasoulof avait été arrêté et condamné en même temps que son confrère Jafar Panahi pour « propagande contre le régime » : il était déjà l’auteur de 6 longs métrages à l’époque. Malgré les pressions politiques, il n’a jamais arrêté de produire, mais évidemment aucun de ses films n’a été projeté en Iran. Il a l’appui de la « Maison du cinéma », institution indépendante iranienne qui négocie avec les autorités, en passant sous silence certaines scènes, pour qu’il obtienne l’autorisation de tourner. En 2011 il a reçu à Cannes le prix de la mise en scène pour « Au revoir », puis en 2013, après avoir présenté à Cannes « Les manuscrits ne brûlent pas », son passeport, ses biens personnels sont confisqués. Au dernier festival de Cannes en mai 2017, il a remporté le prix « Un certain regard » pour « Un homme intègre » dans la sélection du même nom. A son retour en Iran, il s’est vu à nouveau confisquer son passeport et depuis octobre2017, il est assigné à résidence dans son pays. Il vit loin de son épouse et de sa fille qui sont à Hambourg et il vit sous la menace d’un emprisonnement pour « propagande contre le régime ».Il tient cependant à continuer à faire des films en Iran, car , selon lui « la situation ne changera pas si l’on reste à l’extérieur ; quand je ne pourrai plus travailler, au moins je n’aurai pas de regret ». Il reste persuadé que le changement social finira par arriver, mais il pressent une issue violente.
Certes, c’est un film plutôt âpre, mais hélas il traduit la réalité, pas seulement iranienne. Les mêmes problèmes sont évoqués dans « Léviathan » du Russe Zvyagintsev, dans « Le Caire confidentiel » de Tarik Saleh d’origine égyptienne et dans bien d’autres documentaires ou longs métrages.
Denise Brunet