En mai dernier Ken Loach a reçu la palme d’or pour le film de ce soir. C’est la seconde fois qu’elle lui était décernée, après celle qui avait couronné « Le vent se lève » en 2006. Ils ne sont que 8 réalisateurs à avoir reçu 2 fois la récompense cannoise : on citera parmi eux Coppola, Kusturica, les frères Dardenne, Haneke… C’était la 13ème participation de Ken Loach à la compétition officielle, et la 18ème fois qu’il présentait un film à Cannes.
A tout juste 80 ans, le réalisateur britannique n’a pas perdu la rage de sa jeunesse. Lui, le héros du cinéma social anglais, continue à produire un cinéma militant, efficace et profondément humain.
Lors de la projection à Cannes on a entendu des propos désobligeants « film naïf, facile, manichéen ». Mais le jury présidé par George Miller a tenu à récompenser ce réalisateur engagé qui donne la parole à ceux que l’on n’entend jamais.
Il y a 2 ans, à la sortie de son film précédent « Jimmy’s Hall », il avait annoncé sa retraite. Mais, exaspéré par ce qu’il nomme « la cruauté consciente de la politique de David Cameron », il décide de porter à l’écran une histoire qui s’inspire de témoignages de centaines d’hommes et de femmes. En effet, avant de tourner, Ken Loach et Paul Laverty, son scénariste attitré depuis 20 ans, ont mené une enquête sur le terrain. Ils se sont rendus dans un grand nombre de villes et villages des Midlands, ils ont visité plusieurs banques alimentaires ; ils ont parlé avec des victimes d’un système qui, de manière cynique, se débarrasse des plus pauvres. Raconter l’histoire de ces gens, pris entre l’humiliation, la révolte et la soumission, devenait, pour eux, une évidence. Mais le plus gros enjeu, dit Ken Loach, était le casting. Grand directeur d’acteurs, qu’ils soient novices ou professionnels, il a fait appel à l’humoriste anglais Dave Johns pour incarner Daniel Blake ; par sa simple présence, modeste, pudique, teintée d’humour, il fait sentir toute une existence.
Dave Johns vient de la même ville que le personnage : Newcastle ; son père était menuisier ; il connaît les difficultés des survivants de l’état-providence anglais, torpillé par Margaret Thatcher. Ken Loach en a fait un homme digne, le titre-même du film permet d’affirmer Daniel Blake en tant qu’individu : MOI, Daniel Blake. Et dans la dernière phrase du film deux mots résonnent : un homme, un citoyen. Les dialogues percutants de Paul Laverty, tour à tour drôles et cruels, accompagnent cet homme dans un cycle d’absurdités.
Hayley Squires, comédienne de théâtre, est, elle aussi, éblouissante de naturel. La scène de la banque alimentaire dans laquelle on voit toute sa souffrance, évoque autant l’Angleterre victorienne que celle d’aujourd’hui : la violence sociale est hélas la même. Lorsqu’on demande à Ken Loach si un film est capable de faire changer les choses, voici ce qu’il répond : « non, mais il peut ouvrir les yeux, encourager un point de vue, agir sur les consciences ». Sa combativité semble bien nécessaire pour pointer les errements de nos sociétés.
Terminons en vous invitant à repérer dans une scène un animal présent dans tous les films de Ken Loach : un chien à 3 pattes …tout un symbole. A Cannes on lui a posé la question : « Comment avez-vous fait pour en trouver un tout au long de votre carrière ? » ce à quoi il a répondu « il y en a beaucoup » et il a tenu à préciser « qu’aucun chien n’avait été amputé pour être dans ses films ».
Bonne projection !
Denise BRUNET