Jacques Audiard, né à Paris en 1952, est, comme vous le savez, le fils de Michel Audiard, le créateur entre autres des dialogues cultissimes des Tontons Flingueurs.
Vivant dans le sérail, Jacques n’est pas du tout impressionné par le monde du cinéma, comme d’ailleurs son père qui a un regard très cynique sur le 7ème art. Autodidacte et bibliophile, Michel transmet à son fils dès l’âge de 12 ans sa passion pour les livres et la poésie. Souhaitant devenir professeur, Jacques entame des études de philosophie et de littérature.
Michel gagne beaucoup d’argent avec le cinéma, mais en dépense encore plus et ne gère rien. Toute sa fortune est engloutie par le fisc. Et la mort à 26 ans de son fils aîné François dans un accident d’automobile le démolit.
Il fait appel à son fils pour l’aider dans son travail de scénariste, et c’est ainsi que Jacques écrit en 1983 avec son père « Mortelle randonnée » réalisé par Claude Miller avec Michel Serraut dans le rôle d’un policier à la recherche de son enfant disparu. Le tournage était d’autant plus douloureux pour l’acteur et le scénariste que tous les deux avaient perdu un enfant dans un accident.
« Mon père ne me témoignait pas d’affection, dit Jacques, mais c’est dans cette écriture partagée que nous trouvions une interface pour communiquer ». Et il continue à travailler sur des scénarios avec son père jusqu’au décès de celui-ci en 1985.
Successivement monteur, acteur, scénariste, c’est en 1993 qu’il se lance dans la réalisation avec « Regarde les hommes tomber ». Suivront « un héros très discret », « sur mes lèvres », « de battre mon cœur s’est arrêté », « un prophète », « De rouille et d’os », six films sur le thème de la tension entre marge et norme, entre exclusion et désir d’appartenance.
C’est encore ce thème de l’exclusion et du désir d’appartenance que vous retrouverez dans Dheepan, mais cette fois il a voulu des personnages aussi étrangers que possible à la France où ils arrivent poussés par la guerre et la misère, et montrer ce pays à travers leurs yeux, comme ceux d’Usbek et Rica dans « les lettres persanes » de Montesquieu.
Audiard a confié à un de ses coscénaristes Noë Debré, la mission de trouver des migrants « avec une vraie barrière linguistique » et c’est ainsi que vous allez voir un film tourné en tamoul avec trois srilankais acteurs non professionnels….
Le rôle titre est joué par Antonythasan Jesusthasan, ancien engagé volontaire dans les rangs des Tigres de Libération de l’Ilam Tamoul. Trois ans et près de 100 000 morts plus tard, il réalise que la tuerie à laquelle il participe ne libère en rien son pays et c’est en réfugié politique qu’il quitte le Sri Lanka en 1993. Bien qu’en France depuis 15 ans, il parle très mal le français et la communication se faisait « dans une espèce d’anglais spécial, assez poètique », dit Audiard.
Sa fausse petite fille est jouée par l’adorable Claudine Vinasithamby, également srilankaise, mais que Jacques Audiard a trouvée dans un CM 2 en France. Le réalisateur raconte que dans la scène où elle dit à sa fausse mère comment se conduire avec elle, il lui a donné la feuille de la scène une heure avant et « c’est extraordinaire ce qu’a fait la petite, il n’y a eu qu’une seule prise ».
Quant au rôle de la fausse épouse et mère, il est interprété par Kalieasmari Srinivasan , srilankaise, qui n’avait jamais fait de cinéma mais seulement du théâtre en Inde.
Le personnage du Caïd est joué par Vincent Riottiers, 29 ans, mais dejà plus de trente films au compteur, et vous allez retrouver l’excellent Marc Zinga que vous avez vu dernièrement aux côtés d’Olivier Gourmet dans « Jamais de la Vie ».
Contrairement à ce que vous pensez peut être, pour Audiard, les scènes d’action « c’est du chiendent » et il préfère laisser à son premier assistant le soin de régler les cascades…
La bande son est de Nicolas Jaar…. et de Vivaldi.
C’est dans la cité de la Coudray à Poissy,en partie abandonnée ou en réhabilitation, qu’a été tournée la partie « Western urbain ». Peu de familles y habitaient et l’équipe de tournage a pu s’installer dans des appartements vacants. Tous les habitants ont été mobilisés pour la figuration.
Jacques Audiard n’a pas voulu d’un décor réaliste. Au contraire il filme une cité abstraite, magnifiquement photographiée par la jeune chef opératrice Eponine Momenceau, tout juste sortie de la FEMIS, dont c’est le premier long métrage. Saluons ici le réalisateur qui n’hésite pas à donner leur chance à des débutants dont il a détecté le talent.
J’attire votre attention sur l’utilisation de la fenêtre de l’appartement comme un écran sur la cité, à la Hopper, en une sorte de surcadrage, et aussi les plans filmés à travers une porte entrebaillée,pour accentuer l’impression que les personnages sont dans l’incertitude, rien ne leur est assuré dans cette nouvelle vie.
Vous savez que ce film a reçu la Palme d’Or au Festival de Cannes 2015, et que ce choix a été souvent accueilli avec surprise par les festivaliers. Ils se sont dits déroutés par sa composition en deux parties, l’une nuancée, délicate, ouverte, humaine, se positionnant entre les frères Dardenne et Ken Loach, une deuxième, d’une violente extrême, puis un épilogue où l’Angleterre apparait comme la seule terre promise…Or, Audiard n’a pas voulu opposer une anti-France à une Angleterre paradisiaque, non, cet épilogue dit, comme dans tous ses films, que l’homme ne trouve son salut qu’en s’abandonnant au désir de la femme…